On vous explique

Quels sont les impacts sanitaires sur les Bretons et les Bretonnes de l'exposition aux pesticides ?

Par Élodie Bardon (OEB) Geoffrey Le Page (OEB)
en collaboration avec Thierry Panaget (ARS Bretagne) Marie-Florence Thomas (EHESP) Florence Fernandez (Draaf Bretagne)
Mise à jour : 18 novembre 2020
Temps de lecture : 9 minute(s)
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eau
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Photo champ de culture de blé à proximité d'un village breton

Parce qu'ils sont appliqués majoritairement en milieu ouvert et dispersés dans l'environnement, les pesticides ne touchent pas uniquement les cibles visées et sont à l’origine d’effets nocifs collatéraux sur la santé humaine et la biodiversité. La contamination généralisée de l’environnement par ces substances représente alors un coût sociétal élevé (dépenses de contrôles, de traitement de l'eau, etc.) supporté notamment par les usagers.

L’impact de l’exposition (aiguë ou chronique) aux pesticides sur l’organisme humain est variable, notamment selon la voie d’entrée dans l’organisme (cutanée, respiratoire, orale), la concentration des polluants et le temps d’exposition, mais aussi la diversité des substances présentes, l'état de santé de l'individu exposé, etc. Les conséquences d’une exposition peuvent aller de simples vomissements, irritations cutanées ou maux de tête, jusqu’au développement de tumeurs et malformations.

Les professionnels particulièrement exposés

L’exposition professionnelle au produits phytosanitaires concerne plus de 285 000 personnes (professionnels relevant du régime de la protection sociale agricole) en Bretagne en 2019. Elle peut se produire dans le cadre de la fabrication ou de l’utilisation de ces produits, pendant la manutention, la préparation, l'application, le nettoyage, ou en accédant trop tôt aux parcelles après leur traitement. Dans 80 % des cas, l'exposition se fait principalement par voie cutanée. Plusieurs études établissent une présomption de lien entre l’exposition professionnelle aux produits phytosanitaires (difficilement caractérisable) et des pathologies cancéreuses, des maladies neurologiques et des troubles de la reproduction [1]. Sur la soixantaine de maladies professionnelles relevant du régime agricole, sept sont directement liées à l’usage de pesticides, dont la maladie de Parkinson [2].

 

285 000 personnes sont exposées professionnellement aux produits phytosanitaires en Bretagne

La fiche de données de sécurité d’un produit phytosanitaire indique de façon complète (avec les connaissances du moment) les risques encourus, les instructions d’utilisation et les précautions à prendre. Si le port d’un masque et de gants lors des préparations tend à se généraliser (ils sont pratiqués dans respectivement 72 % et 84 % des exploitations concernées), les protections lors de l'application des traitements restent faibles [3].

Pesticides dans l'air ambiant : quels impacts sur la santé ?

Une première interprétation d'une étude exploratoire d'envergure nationale sur les pesticides dans l’air ambiant ne met pas en évidence, dans l'état actuel des connaissance, d'enjeux sanitaires forts liés à l'exposition de la population à une contamination de fond de l'air extérieur. L'Anses identifie cependant 32 substances nécessitant un examen approfondi. On y retrouve le lindane (80 % des échantillons analysés), interdit en France et dont on connait des effets sur la fertilité, le système hormonal, ou le risque de développer des cancers [4].

Une exposition généralisée et chronique de l'ensemble de la population

Du côté des particuliers, si l'on écarte les expositions ponctuelles des habitants de zones rurales lors du traitement des parcelles voisines, l’exposition des populations aux pesticides est globalement chronique. La contamination de l'air extérieur et intérieur, les divers usages de pesticides dans les jardins ou pour des usages vétérinaires ou domestiques (insecticides, répulsifs) constituent des sources potentielles d'exposition [5]. Une étude menée en Bretagne, a par ailleurs montré que la présence de pesticides dans les poussières intérieures contribue particulièrement à l’exposition des enfants, du fait de leur plus grande proximité au sol ou des contacts main-bouche plus fréquents [6].

Un autre programme de recherche mené également en Bretagne a permis de constater la présence de pesticides dans les urines de la majorité de 3 500 couples mères-enfants étudiés, ainsi que dans les poussières recueillies au domicile de ces enfants. La majorité des échantillons urinaires (54 %) récoltés lors de cette étude contient au moins 8 substances quantifiées, 10 % des échantillons contiennent au moins 13 substances, allant jusqu’à 28 substances quantifiées pour un échantillon urinaire [7]. L'exposition à des pesticides au cours de la période prénatale et périnatale, ainsi que la petite enfance, semblent être particulièrement à risque pour le développement de l’enfant, notamment au niveau cognitif [1].

L'alimentation, principale source d'exposition

L’alimentation est également l’une des sources principales d’exposition aux pesticides, et fait l’objet de contrôles sanitaires. La limite maximale de résidus (LMR) fixe un seuil de concentration d'une substance dans une denrée au-delà de laquelle cette dernière n'est plus autorisée à la vente. Pour constater un dépassement, la Direction générale santé-consommation de la Commission européenne considère la valeur basse d'une fourchette d'incertitude de +/- 50 % de la concentration mesurée. En 2018, 306 substances ont été analysées dans 1 148 prélèvements effectués dans des productions végétales primaires (avant mise en circulation dans l'industrie agro-alimentaire). Le taux de non-conformité s’élevait alors à 8,5 %, dont 15,4 % pour des dépassements de seuils par des substances parfois interdites. L’Agence européenne de sécurité alimentaire indique qu’en France en 2017, 4,7 % des échantillons de produits végétaux et animaux commercialisés dépassaient les LMR. Bien qu’elle ne compte que pour moins de 5 % de l’exposition alimentaire aux pesticides, l’eau potable est la composante de l’alimentation la plus contrôlée.

Au titre du plan de surveillance de la Direction générale de l’alimentation (DGAL)

Des impacts sur la production d'eau potable

Afin de produire de l'eau potable, la Bretagne exploite majoritairement les eaux de surface, particulièrement vulnérables à la contamination par les pesticides. Le niveau de contamination des eaux souterraines est aussi à prendre en compte car la plupart des points de captage pompent à de faibles profondeurs.

La Directive européenne 98/83/CE, déclinée dans le Code de la santé publique, fixe des limites de concentration en pesticides à 0,1 μg/l par substance et à 0,5 μg/l pour la somme de substances quantifiées dans les eaux destinées à la consommation humaine. En cas de contamination des ressources en eau par des pesticides et leurs métabolites à des niveaux de concentration supérieurs aux limites de qualité, le Code de la santé publique impose la mise en œuvre de traitements spécifiques pour leur élimination [8]. En 2018, 80 % des 110 prises d’eau de surface présentaient ainsi des concentrations quantifiées en pesticides en Bretagne [9].

La capacité des stations de potabilisation à éliminer des substances dépend fortement des conditions de mise en œuvre des traitements et des propriétés physico-chimiques de ces substances. Des substances comme le glyphosate et son métabolite l'AMPA, sont éliminées lors de l’étape de clarification (entrainées par les particules en suspension dans l'eau), mais la plupart des pesticides sont éliminés par des procédés de nanofiltration ou l’utilisation de charbon actif. La quasi-totalité des unités de traitement des eaux de surface disposent en Bretagne de dispositifs d’élimination de ces molécules. Certains métabolites peuvent s'avérer difficiles à éliminer. C'est notamment le cas du métolachlore-ESA et métolachlore-OXA (métabolites issus de la dégradation dans l'environnement du S-métolachlore). Certains procédés peuvent conduire à la formation de sous-produits ou métabolites également difficiles à éliminer, et à la toxicité parfois élevée.

Se documenter

La brochure Soif de santé, édition 2019, publiée par l'Agence régionale de santé Bretagne, fait le point sur le cycle de l’eau, la ressource et sa protection et, surtout, la qualité des eaux distribuées à la population en 2018.

Après le traitement, l'eau subit encore plusieurs contrôles dans les réseaux de distribution jusqu'au robinet du consommateur. La Directive européenne 98/83/CE, déclinée dans le Code de la santé publique, fixe des seuils de qualité à 0,1 μg/l par substance et à 0,5 μg/l pour la somme de substances mesurées dans les eaux distribuées. En 2018, 94,8 % de la population bretonne a reçu en permanence une eau conforme aux seuils de qualité (contre 90,6 % au niveau national). Les 5,2 % restants ont été concernés par des dépassements de la limite de 0,1 μg/l, et ce sur de courtes durées (quelques jours) sans que cela ne déclenche de restriction de consommation. Ces dépassements sont provoqués par une augmentation brusque des concentrations suite à des contaminations accidentelles, ou une défaillance ponctuelle des systèmes de traitement. La concentration maximale enregistrée concernait le métolachlore, quantifié à hauteur de 0,42 μg/l.

La part de la population bretonne desservie ponctuellement par une eau non-conforme en pesticides a considérablement diminué depuis 1998, date à laquelle elle atteignait 26,2 %. Toutefois, les résultats du contrôle sanitaire de 2018 ne prennent pas en compte certains métabolites (dont ceux du S-métolachlore) qui pourraient potentiellement rabaisser la conformité à des valeurs de l'ordre de 30 % en Bretagne.

Les traitements de l'eau, ainsi que les programmes de contrôle spécifiques aux pesticides, représentent un coût important pour la collectivité et par conséquent pour le consommateur. Par exemple, 15,5 % des redevances perçues par l'Agence de l'eau Loire-Bretagne en 2019 ont servi à la lutte contre les pollutions diffuses et à la protection des captages d'eau. En France, le coût estimé du traitement induit par ces pollutions pour rendre l'eau potable est compris entre 500 millions et 1 milliard d'euros par an.

 

Une vigilance particulière sur les captages particulièrement vulnérables

La Conférence environnementale de septembre 2013 a fixé un objectif national de protection de l'aire d'alimentation de 1 000 captages prioritaires contre les pollutions liées notamment aux produits phytosanitaires, en raison de leur degré de menace élevé vis-à-vis de ces pollutions diffuses. Cela concerne 210 captages à l'échelle du bassin Loire-Bretagne et 56 captages à l'échelle de la région Bretagne. Parmi eux, 21 sont des captages d'eau de surface et 35 d'eau souterraine.

 

Image

Quid de l'effet « cocktail »

La population est exposée de façon chronique à des substances présentes en mélange dans l'environnement. L’impact sanitaire et écologique de ce « cocktail » de substances est difficilement prévisible et reste un enjeu important pour l’évaluation des risques et les autorisations de mise sur le marché. Des études en cours montrent que d’une façon générale, l’effet du mélange de substances peut être différent qualitativement et quantitativement de l'effet de chaque substance considérée individuellement [1]. Par ailleurs, beaucoup de métabolites, ainsi que les adjuvants et les coformulants entrant dans la composition des produits pesticides sont peu voire jamais pris en compte dans les analyses.

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Emmanuèle Savelli
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