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Comment le Conservatoire du littoral prépare-t-il le retour de la mer en baie de Lancieux ?

Par Morgane Guillet (OEB)
en collaboration avec Gwenal Hervouët (Conservatoire du littoral) Tony Durozier (Conservatoire du littoral)
Mise à jour : 29 juin 2020
Temps de lecture : 6 minute(s)
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mer et littoral
changement climatique
risques
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Baie de Lancieux

La baie de Lancieux est menacée par la montée des eaux. Pour s'y préparer, le Conservatoire du littoral expérimente une nouvelle forme de gestion du trait de côte via son projet « Adapto » : accompagner le mouvement de recul du littoral plutôt que le fixer avec des ouvrages côtiers. 

Le Conservatoire du littoral : c'est qui ? c'est quoi ?

Le Conservatoire du littoral a joué un rôle important en Bretagne dans la préservation des zones littorales. Depuis 1975, cet organisme national a pour mission d’acquérir les espaces fragiles et remarquables des rivages français pour aider à leur conservation, en limitant l’urbanisation et ses dérives. L’objectif étant de constituer un réseau de sites naturels valorisés et en bon état. Tony Durozier est chargé de mission pour le secteur Manche du Conservatoire du littoral. Il explique qu'« en Bretagne, le travaille sur 145 sites naturels répartis sur le pourtour de la côte bretonne, ce qui représente 29 010 ha de périmètres d'intervention autorisés dont 10 140 ha d'ores et déjà acquis. Il existe aujourd'hui 160 agents du littoral pour la Bretagne, employés par les gestionnaires (collectivités territoriales ou associations) des propriétés du Conservatoire. »

Quel site du Conservatoire du littoral est emblématique de la Bretagne ?

« S'il ne faut en citer qu'un ce sera le sillon de Talbert » affirme Tony Durozier. Et d'ajouter : « cette flèche de galets aux dimensions spectaculaires attire près de 100 000 visiteurs par an ! » Comme jetée en mer, le sillon de Talbert est en mouvement perpétuel. À chaque marée et chaque tempête, son profil est remanié. Par le passé, d’énormes enrochements ont été construits pour tenter de le stabiliser. « Le Conservatoire tente aujourd'hui, au contraire, de maintenir la libre évolution du cordon de galets pour mieux le préserver. » D’importants travaux de restauration et de protection ont permis une reconquête écologique du milieu (oiseaux migrateurs, espèces végétales) en limitant l’impact de la fréquentation piétonne. Des expositions artistiques et / ou pédagogiques portant sur le patrimoine naturel et culturel du sillon de Talbert et du littoral du pays de Trégor-Goëlo sont présentées à la Maison du sillon. L’aire de stationnement située au pied du sillon a été supprimée et revégétalisée.

Photo Sillon de Talbert

Crédit photo : Dominique Halleux - Conservatoire du littoral, 2011 | Le sillon de Talbert

En quoi consiste le projet Adapto ?

Initié par le Conservatoire du littoral en 2018, le projet Adapto vise à expérimenter des solutions de gestion souple du trait de côte sur les façades maritimes françaises menacées par la montée des eaux. Dix sites sont sélectionnés en France pour participer au projet, dont la baie de Lancieux (Côtes-d’Armor) en Bretagne. « Sur chacun des sites, le Conservatoire amène les collectivités, les gestionnaires et les usagers concernés à construire un projet de territoire et explorer des solutions fondées sur la nature face à l’érosion et à la submersion marine. Ceci afin d'anticiper l’élévation du niveau de la mer dans le contexte d’accentuation du changement climatique. Ce projet est financé en grande partie par l’Union Européenne. »

Pourquoi faire de la « gestion souple » ?

Face à l’érosion et à l’élévation du niveau de la mer, il existe trois possibilités pour les habitants du bord de mer : résister, subir, ou s'adapter. Le premier consiste à « faire barrage », se défendre contre la mer en construisant des ouvrages « en dur » comme des digues ou des perrés. Mais aujourd’hui on se rend compte que ces ouvrages ont un impact sur le trait de côte : ils accentuent parfois l’érosion dans les zones protégées ou engendrent un amaigrissement de la plage. Ces constructions sont régulièrement endommagées par les tempêtes et leur entretien a un coût exorbitant. 

« Le Conservatoire du littoral privilégie une approche plus « souple » de gestion du trait de côte. Elle consiste à préserver des espaces naturels littoraux (dunes, rochers littoraux, lagunes, herbiers, marais et prés salés, etc.) situés entre la mer et les habitations. » Dans le cas d'une dune il s’agit par exemple de restaurer une végétation dégradée (plantation d'oyats) ou de couvrir des dunes au moyen de branchages et/ou poser des ganivelles pour éviter que le vent n’emmène le sable à l’intérieur des terres. Ces techniques de génie écologique favorisent l’accumulation de sable et consolident les dunes qui protègent des submersions. Des rechargements en sable peuvent venir compléter ces interventions pour maintenir une dune suffisamment épaisse. Ne pas urbaniser en retrait des dunes permet également à celle-ci de « rouler » sur elle-même et ainsi de s’ajuster aux mouvements du rivage. « Généralement il n’y a pas de solution unique, il faut faire un compromis entre différents modes de gestion du littoral ». Par exemple continuer l’entretien d’une digue tout en renforçant un espace naturel. Cette gestion souple du trait de côte est testée via le projet Adapto en baie de Lancieux.

Quel problème pose l’élévation du niveau de la mer en baie de Lancieux ?

La baie de Lancieux est particulièrement menacée par l’élévation du niveau de la mer car elle est située en zone basse. Autrefois, un marais maritime recouvrait la baie, offrant un sol sédimentaire très riche. Mais en 1430, des moines bénédictins de l’Abbaye de Saint-Jacut ont édifié une digue en terre, aujourd’hui appelée « Digue aux Moines », dans l’objectif d’assécher le marais pour le transformer en terres agricoles. Deux autres digues ont été construites par la suite, visant à gagner du terrain sur la mer (« polders »). Ces terrains neufs n’étaient pas imposés par l’État, c’est sûrement la raison pour laquelle les moines construisaient des polders. Plus récemment, une route et quelques habitations ont été construits derrière ces ouvrages. Mais aujourd’hui, la mer atteint le sommet des digues et le dépasse parfois lors de tempêtes ou grandes marées. Avec l’élévation du niveau de la mer, le nombre d’enjeux humains et économiques exposés va augmenter. D’ici 2100, en prenant en compte une montée des eaux de 60 à 80 cm, toutes les digues seraient submergées lors des grandes marées centennales (une chance sur cent de se produire ou d'être dépassé chaque année).

Quelle(s) solution(s) le Conservatoire propose-t-il ?

La solution proposée par Le Conservatoire du littoral consiste à rétablir l’ancien marais maritime en accompagnant le retour de la mer dans les zones poldérisées. Ce milieu naturel permettra de dissiper l’énergie des vagues en cas de tempêtes, de limiter les hauteurs d’eau et de favoriser la sédimentation. Différentes stratégies permettront d’y parvenir :

  • Dans un premier temps, les terrains naturels et les biens les plus exposés sont progressivement rachetés par le Conservatoire (agriculture intensive, maisons d’habitation, zone d’aéromodélisme, etc.) afin de les éloigner et de réduire le risque en cas d’avancée de la mer.
  • Dans un second temps, les digues actuelles étant en mauvais état, une nouvelle digue sera construite en retrait au plus près des zones urbanisées. La mer pourra alors franchir les digues anciennes et envahir progressivement les polders, reprenant la place qu’elle occupait avant leur installation.
  • Pour observer ces changements de paysages, un chemin de promenade sera aménagé en appui de l’ancienne digue aux Moines.

La gestion du trait de côte passera ainsi d’une gestion active et coûteuse (renforcement et réparation des digues après chaque tempête) à une solution souple fondée sur la nature.

Carte des paysages actuels et cheminements de demain en baie de Lancieux

Crédit photo : Conservatoire du littoral | Carte des paysages actuels et cheminements de demain en baie de Lancieux

photo Emmanuele Savelli
Emmanuèle Savelli
Cheffe du pôle Communication
Pôle communication
02 99 35 45 83

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