Pourquoi l'arbre est la grande variable de la plupart des paysages en Bretagne ?

Par Emmanuèle Savelli (OEB)
en collaboration avec Laurence Le Dû-Blayo (Université Rennes 2) Anne-Simone Burel (Adeupa) Camille Morand (Audiar)
Mise à jour : 17 août 2023
Niveau de lecture
2
paysages
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Plage de Kervignac

On distingue quelques grandes familles de paysage à l'échelle de la Bretagne avec des caractéristiques et des évolutions communes. Elles sont l'expression à la fois de la géographie régionale et des structures agraires et bocagères, du passé et du présent. L’arbre y occupe souvent une place remarquable. Car bien que la Bretagne soit une des régions les moins forestières de France, le bocage est un élément majeur des paysages agraires bretons. Il se décline depuis sa forme la plus dense jusqu’à des haies discontinue, du simple muret à la haie doublée de chemins creux, en passant par des tailles particulières des arbres lors de l’émondage.

Quels paysages rencontre-t-on en Bretagne ?

Qui parcourt la région aujourd’hui aura l’occasion d’y découvrir des paysages de plaines, de plateaux, voire de « petites montagnes » - les Monts d’Arrée et les Montagnes Noires - et des paysages littoraux. Les scientifiques identifient 8 grandes familles de paysages, façonnés par l’érosion et sous l’influence océanique de la Manche et de l’Atlantique :

  • le paysage de bocage dense sur colline ;
  • le paysage de bocage à maille élargie ;
  • le paysage à ragosse (la taille en ragosse est une pratique d'émondage consistant à tailler les branches latérales d'un arbre pour les récolter) ;
  • le paysage cultivé avec talus ;
  • le paysage boisé et de bosquets ;
  • le paysage de zones humides d'eau douce ;
  • le paysage de cultures légumières ;
  • le paysage littoral urbanisé.

Lire la brochure « Les paysages de Bretagne », éditée par le conseil régional de Bretagne, pour comprendre comment décrire les paysages et les détails des 8 grandes familles de paysages bretons, leur répartition et leurs particularités.

Comment se sont-ils mis en place ?

Grâce aux études de pollens fossiles conservés dans les tourbières, on sait aujourd'hui que la forêt occupait la quasi-totalité de la Bretagne, il y a quelques 5 000 ans, avant l'intervention de l'homme. Si dès 2 000 ans avant J.-C., les populations se déplacent vers l’intérieur de la région, il faut attendre 400 ans avant J.-C., à la faveur d'un important essor démographique, pour que les défrichements prennent une grande ampleur. Ces déboisements, liés au développement de l'agriculture, se sont ensuite poursuivis activement, et au Xe siècle, le milieu armoricain présentait déjà un caractère nettement agraire au détriment du manteau forestier.

Derrière ces grandes familles, comme dans une gigantesque mosaïque, se cachent en fait une diversité d’entités paysagères singulières, plus ou moins étendues et plus ou moins imbriquées.  La région compte une vingtaine de types de paysages, composant une fine trame très hétérogène. Cette dernière est dominée par des paysages agro-naturels, hérités d’une occupation des sols typique des régions bocagères. Elle se distingue également par la dissémination de l’habitat et par un large gradient de formes urbaines allant de la ferme isolée (habitat diffus) à des villes moyennes et des métropoles régionales (urbain dense) en passant par des bourgs et villages.

Qu’est-ce qui explique la variété des paysages bocagers de la région ?

Des Monts d’Arrée au Mené et sur les Montagnes Noires, les reliefs de crêtes de grès et des massifs granitiques alternent avec des vallées encaissées. Là, les sols pauvres ont favorisé le maintien d’un bocage dense et de surfaces en herbe. Les parcelles agricoles sont petites, faites de prairies encloses d’un réseau de haies, souvent doublé d’un réseau de chemins. En marge de ces massifs, dans les plateaux aux vallées encaissées du Léonard au Trégor, le réseau bocager quoi qu’encore important a davantage été modifié par des remaniements fonciers et le développement des cultures fourragères en rotation avec des céréales (maïs, blé). Entre 1960 et 1980, les politiques publiques de remembrement ont incité les agriculteurs à agrandir leurs parcelles. De nombreuses haies bocagères ont alors été supprimées pour augmenter leur taille. Des bois et landes se sont concentrés sur les versants de vallées, peu à peu abandonnés par l’agriculture.

« En France, la grande période des remembrements correspond à l'accélération de la modernisation de l'agriculture entre 1955 et 1975. Les paysages ruraux, dans les principales régions concernées, ont été profondément transformés par les opérations de remembrement. Le terme général au singulier, « le remembrement », désigne souvent le mouvement d’ensemble de ses opérations. » (Géoconfluences

Photo Haies bocagères discontinues dans les paysages ruraux d’Ille-et-Vilaine

Crédit photo : Guillaume Bonnel, Observatoire photographique du paysage porté par le Département d'Ille-et-Vilaine et la direction départementale de la Terre et de la Mer d’Ille-et-Vilaine | Haies bocagères discontinues dans les paysages ruraux d’Ille-et-Vilaine, 2019.

Dans les bas plateaux du Léon et les bassins à l’ouest de la Bretagne (Châteaulin, Cornouaille), les sols plus profonds favorisent les labours. Les prairies sont donc minoritaires. À l’est de la Bretagne, les pratiques d’émondage sur les haies ont créé un bocage à ragosses spécifique, notamment dans le bassin de Rennes. Ce bocage a souvent disparu au gré des agrandissements de parcelles, laissant place localement à un paysage ouvert, notamment dans le bassin de Pontivy-Loudéac. Quant aux plateaux et bassins d’agriculture intensive de la Bretagne, ils ont en commun de grandes parcelles et la disparition progressive du bocage. L’exposition aux vents d’ouest y est plus vive. Les haies sont plus basses et souvent sous forme de taillis, les arbres de haut jet sont plus rares. Inversement, les murets sont très présents et les talus plus hauts (1 à 2 m). À proximité du littoral, ils constituent souvent le seul enclos de la parcelle, notamment en secteur légumier. Ils ont une fonction de brise-vent, mais contribuent également à lutter contre l’érosion des sols et à maintenir la terre cultivable dans chaque parcelle. Pourtant, ils sont peu à peu supprimés en raison du coût de leur entretien.

Pour les ragosses, ce sont les branches latérales qui sont taillées.

Crédit photo : Frz13 - Fotolia | Sur l'île de Batz, les haies sont plus basses et souvent sous forme de taillis.

Crédit photo : Frz13 - Fotolia | Sur l'île de Batz, les haies sont plus basses et souvent sous forme de taillis.

Jusqu’à quel point l’arbre est-il présent dans les paysages bretons ?

Dans certains paysages de la région, l’arbre est plus présent, soit sous forme de grande forêt comme à Paimpont, soit sous forme de très nombreux bosquets, par exemple dans le Goëlo. Les landes et le bocage dense sont souvent associés à ces bois, pour l’essentiel constitués de feuillus. Les résineux, sont toutefois bien représentés dans ces paysages car ils ont été introduits lors de campagnes de reboisement d’après-guerre, notamment dans le Morbihan, les Côtes-d’Armor et les Monts d’Arrée.

Crédit photo : Aude Pélichet, Observatoire photographique du paysage de la Trame verte et bleue de la Dreal Bretagne | Exploitation de résineux au second plan à Plougonven (Finistère), 2018.

Crédit photo : Aude Pélichet, Observatoire photographique du paysage de la Trame verte et bleue de la Dreal Bretagne | Exploitation de résineux au second plan à Plougonven (Finistère), 2018.

Le Bretagne est-elle une région boisée ?

Non, c’est même l’une des régions les moins forestières de France. Soumise depuis longtemps au défrichement, la Bretagne est aujourd'hui surtout agricole, et les espaces boisés y sont très fragmentés. Ils le sont même plus qu'ailleurs en France puisqu'il existe très peu de massifs de plus de 10 000 ha dans région, hormis celui de Paimpont - Coëtquidan, et ceux d’au moins 1 000 ha représentent seulement 20 % des surfaces boisées contre plus de 80 % au niveau national. Néanmoins, le taux de boisement en Bretagne n’a cessé d’augmenter depuis deux siècles, ce qui ne peut que renforcer le poids de l’arbre dans certains paysages de la région. 

Les ensembles forestiers dépassant 1 000 ha ont en Bretagne la particularité d'offrir une grande diversité de peuplements, ce qui est plutôt favorable à la biodiversité.

Que retenir ?

  • La Bretagne compte 8 grandes familles de paysages. Des paysages plutôt ruraux mais qui cachent en fait une mosaïque fine de paysages singuliers. 

  • Ces paysages sont hérités d’un défrichement ancien qui a gommé le manteau forestier originel de la péninsule bretonne pour créer des paysages agraires de type bocagers, encore majoritaires.

  • Dans une région pourtant peu forestière, l’arbre est un élément de paysage structurant, en particulier dans les paysages bocagers plus ou moins denses, et les paysages boisés et de bosquets.

  • La surface boisée n’a cessé d’augmenter depuis 2 siècles.

  • Les paysages de bocage dense se concentrent en Bretagne Nord, sur des secteurs où reliefs, vallées encaissées et sols pauvres ont favorisé son maintien grâce à l’usage de prairies.

  • Les paysages de cultures légumières sont concentrés en Bretagne Nord.

  • Bien que l’habitat en Bretagne soit traditionnellement disséminé, l’urbanisation marque davantage les paysages sur le littoral, en Bretagne Sud.
     

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