Les cartes postales de Bretagne ont été diffusées en masse au cours du XXe siècle. Elles ont imprégné notre imaginaire collectif sur les paysages en véhiculant des motifs dominants [1]. Analyser ce fonds iconographique permet de pointer le système de valeurs sociétal de l’époque et peut être mis en comparaison avec celui d’aujourd’hui afin de cerner les évolutions en matière de préoccupations paysagères.
Du pittoresque au paysage désiré par l’élite : petite histoire de la carte postale
La carte postale apparaît en France en 1873 avec 7 millions d’exemplaires vendus en une semaine [2]. Ce nouveau support de communication prospère rapidement en véhiculant des images publicitaires. Dès lors, il s’agit d’un média de communication et d’information au même titre que la télévision et Internet aujourd’hui [3].
[1] Un motif paysager est un élément emblématique du territoire qui lui confère son identité (le phare, le pont, l’étang, etc.). JOLIET Fabienne, BEAUJOUAN Véronique et JACOB Marta, Quelle naturalité du paysage ligérien ?, Norois, 192, 2004|3, p. 85-94.
[2] La carte postale naît en Autriche-Hongrie en 1869, avec comme principe de faire circuler une correspondance ouverte à un tarif d’affranchissement attractif.
[3] ÉVEILLARD James-D, 1999, L’histoire de la carte postale et la Bretagne, Rennes, Éditions Ouest France, 32 p.
À la fin du XIXe siècle débute la commercialisation de la « carte illustrée photographique » [4] qui connaît un grand succès grâce au développement du tourisme et du chemin de fer pendant le XXe siècle. Les premiers photographes représentant la Bretagne prennent le paysage comme thème privilégié. Ils avaient pour ambition de reproduire les tableaux de grands peintres paysagistes [5].
Une dizaine de millions de cartes postales sont diffusées au début du XXe siècle à l’échelle nationale, avec plus d’une centaine d’éditeurs de sujets bretons. Grâce au procédé d’impression par phototypie et l’arrivée de la poste dans les villages, la diffusion des cartes postales est rapide et accessible au plus grand nombre [6].
Les cartes postales photographiques donnent à voir les paysages pittoresques : côtes découpées, plages immaculées, ports, etc. [5]. Puis, les représentations évoluent : l’industrie de la carte postale représente les paysages attractifs qui répondent aux souhaits des touristes et aux besoins en matière de communication des acteurs locaux dans la première partie du XXe siècle.
[4] ÉVEILLARD James-D, 1999, L’histoire de la carte postale et la Bretagne, Rennes, Éditions Ouest France, p.6
[5] PRUD’HOMME Laurence, 2012, Reflets de Bretagne : Les collections photographiques du musée de Bretagne, Lyon, Fage éditions, 255 p.
[6] CROIX Alain, GUYUARC’H Didier, RAPILLIARD Marc, 2011, La Bretagne des photographes : La construction d’une image de 1841 à nos jours, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 400 p.
Pendant longtemps, le littoral breton (estran, mer, port, etc.) est un espace de production et de commerce. La reconnaissance des bienfaits de l’eau de mer et l’intérêt pour les paysages maritimes pendant la période romantique furent à l’origine d’un « désir de rivage » [12].
Ainsi, les communes littorales ont été marquées par le développement des paysages balnéaires au cours du XXe siècle.
Progressivement, de petites villas se sont insérées le long de la côte pour former de véritables agglomérations au niveau de stations balnéaires [13]. Le tourisme balnéaire, d’abord réservé à une clientèle privilégiée, va progressivement se démocratiser avec l’avènement des congés payés en 1936.
Les paysages balnéaires sont caractérisés par des motifs paysagers récurrents. La plage, mais également le port et le phare, sont les principaux sujets de ces paysages de cartes postales anciennes.
La plage est le motif le plus représenté sur les cartes postales anciennes en Bretagne (23 % du corpus) [7]. Elle est photographiée principalement au niveau des stations balnéaires montrant l’urbanisation de la côte par la construction de villas, d’hôtels et casinos, l’alignement des cabines de plage (visible ci-dessous sur la carte postale de Plérin), l’heure du bain ou les jours de fêtes [5].
Mieux comprendre
Au Carton Voyageur, musée de la carte postale à Baud (56), c’est plus de 50 000 cartes postales du XXe siècle représentant la Bretagne consultables en ligne sur leur plateforme Cartolis.
Mettre en exergue les atouts du territoire : le littoral avant tout
Malgré une forte représentativité des paysages bretons dans les éditions, les motifs liés au littoral sont dominants au détriment des communes situées à l’intérieur des terres. En effet, certaines zones sont particulièrement photographiées, et les sujets représentés varient en fonction des spécificités locales.
Le littoral est représenté à 73 % tandis que l’intérieur des terres représente seulement 27 % du corpus [7]. Cette disparité territoriale s’explique par le développement du chemin de fer et l’essor du tourisme, mais également par le fait que la Bretagne possède 2 470 km de trait de côte, soit plus d’un tiers du littoral français. Le chemin de fer en Bretagne s’est d’abord développé sur les littoraux nord et sud de la région ignorant l’intérieur du territoire favorisant ainsi l’activité touristique. Les voyageurs envoient des cartes postales photographiques des lieux qu’ils visitent, principalement du bord de mer.
La proportion des communes littorales et intérieures représentées varie en fonction du département. 85 % des cartes postales de Côtes-d’Armor sont prises depuis des communes littorales tandis que seulement 38 % le sont pour l’Ille-et-Vilaine [7]. Cela s’explique par la longueur de leur trait de côte : l’Ille-et-Vilaine possède le trait de côte le plus court des départements bretons avec 60 km, contre 385 à 680 km pour les 3 autres départements.
Concernant les visuels, les Côtes-d’Armor et le Morbihan sont imagés par des motifs de plage et donc des paysages balnéaires, le Finistère plutôt par les rochers et des paysages naturels, et l’Ille-et-Vilaine ne dégage pas un unique motif paysager (plage, rivière et étang uniformément représentés). Par ailleurs, différentes valeurs paysagères se dégagent du corpus analysé.
[7] Analyse de plus de 8 000 cartes postales de la catégorie « Nature » à partir de la plateforme Cartolis.
L'esthétique du sublime : la nature sauvage dans les cartes postales anciennes
Les paysages bretons « sont propices à l’esthétique du sublime qui se diffuse dans l’élite européenne au XVIIIe siècle » [8]. Ces paysages mettent en valeur ce que la nature nous offre, sa force et sa grandeur. « Le rivage de la mer permet de cumuler les émois. L’infinitude de la vision, la vacuité de l’horizon et la proximité du gouffre accentuent l’horreur de l’abîme, préparent le rêve d’engloutissement » [9]. L’immensité et la puissance des forces naturelles entraînent alors la rêverie et la contemplation de soi.
28 % des cartes postales représentent des paysages naturels. Plusieurs motifs sont particulièrement associés à ces paysages : le rocher qui représente 12 % du corpus, puis la falaise à 7 % [7].
Les falaises, « romantiques roches déchiquetées » [10], montrent l’importante longueur des côtes rocheuses en Bretagne (57 % du littoral breton). La mer, quant à elle, est représentée calme et paisible avec quelques bateaux et un coucher de soleil, ou alors déchainée avec la tempête frappant la côte rocheuse. Les paysages naturels sont aussi véhiculés à partir des curiosités géologiques comme les motifs des rochers ou encore des grottes. Les roches taillées par l’érosion nous laissent des formes parfois surprenantes marquant le paysage et attirant les touristes.
[8] Le Dû-Blayo Laurence, 2007, Le paysage en Bretagne, enjeux et défis, Plomelin, Éditions Palantines, p. 106
[9] Corbin Alain, 1988, Le territoire du vide cité par Le Dû-Blayo Laurence, 2007, Le paysage en Bretagne, enjeux et défis, Plomelin, Éditions Palantines, p. 106
[10] PRUD’HOMME Laurence, 2012, Reflets de Bretagne : Les collections photographiques du musée de Bretagne, Lyon, Fage éditions, p. 106
En quête de santé, de dépaysement et d'aventure : l'invention du paysage balnéaire [11]
Cependant, à partir de la seconde guerre mondiale, la demande évolue à cause de la saturation du paysage urbain. Les paysages photographiés par la suite seront plus naturels lorsque cela est encore possible montrant une plage peu anthropisée. Cette préoccupation paysagère sociétale se traduit juridiquement par la loi « littorale » en 1986, interdisant toutes les constructions sur une largeur de 100 mètres depuis le rivage hors zones urbanisées [13].
Le port est un motif intemporel sur les cartes postales de Bretagne (4 %) [7]. Il est d’abord représenté pour son aspect pittoresque avec les petits ports et embarcations légères. Pour exemple, la carte postales de Saint-Brieuc ci-dessous montre le port rempli de petits voiliers et barques, montrant un paysage balnéaire pittoresque.
Par la suite, le port, les bateaux et les activités maritimes attirent particulièrement l’attention : voiliers de pêche, scènes de régates, forêt de mats, déchargement de pêche, etc. [5]. De nombreux ports sont présents en Bretagne, que ce soit des ports de plaisance ou de commerce, ce qui explique en partie le grand nombre de représentations qui y sont liées. Une autre explication réside dans l’engouement que les paysages maritimes suscitent.
Le phare est également un motif paysager particulièrement emblématique en Bretagne. La région en compte plus d’une cinquantaine, soit plus d’un tiers des phares français. Ces deniers constituent aujourd’hui un réel élément du patrimoine breton et appartient au lexique du paysage balnéaire.
[11] Pour en savoir plus sur l’évolution du paysage littoral en Bretagne
[12] RICHARD Nathalie, PALLIER Yveline, 1996, Cent ans de tourisme en Bretagne, 1840-1940, Rennes, Éditions Apogée, p. 122
[13] DE BEAULIEU François, 2000, Bretagne : 100 ans de photos, Archives Jos Le Doaré, Douarnenez, Le Chasse-Marée/ArMen, 232 p.
La maîtrise de la nature à travers les paysages fluviaux
15 % des cartes postales anciennes représentent des paysages fluviaux [7]. Ils sont photographiés pour montrer les cours d’eau et/ou les infrastructures associées : pont, moulin, etc. L’importance de ce type de paysage réside en partie dans le fait que la Bretagne compte plus de 30 000 km de cours d’eau.
Les ouvrages d’art sont particulièrement photographiés pour leur caractère documentaire. Les photographies ne sont pas prises pour leur valeur esthétique, mais plutôt pour témoigner des bouleversements dus à la révolution industrielle de la fin du XIXe siècle et pour promouvoir le génie technique et industriel français. Les motifs paysagers associés, qui représentent 7 % des cartes postales [7], sont nombreux : pont, chemin de fer, barrage, installation hydraulique, etc. Ces motifs font partie intégrante de notre paysage quotidien encore aujourd’hui. Ce sont des éléments de repère dans le paysage [5].
Les paysages absents du système de valeurs de la première moitié du XXe siècle
Les paysages caractéristiques de Bretagne ne sont pas tous représentés sur les cartes postales anciennes. L’intérieur des terres et notamment les paysages agricoles sont peu valorisés. Ils servent de contexte géographique pour mettre en scène les paysans et ainsi montrer l’authenticité de la Bretagne. Pour exemple, la carte postale de Cornouailles ci-dessous met en scène des paysans battant le blé noir.
Certains écosystèmes sont également peu représentés : la lande, la zone humide, la forêt. Il y a ici, en un siècle, une évolution notoire des préoccupations paysagères avec la montée en puissance de la valeur écologique. Pour exemple, les landes sont au cœur des enjeux environnementaux et elles sont intégrées dans les politiques de sauvegarde de patrimoine naturel et paysager (espaces naturels sensibles, réserves naturelles, etc.). La forêt, quant à elle, est aujourd’hui un lieu de ressourcement et de bien-être pour les populations.
La mise en tourisme des paysages, et donc la promotion de certains motifs, corrobore les valeurs d’une société à un temps donné. Un même motif peut d’ailleurs être emblématique de différentes valeurs à travers le temps comme c’est le cas pour la lande. Aussi, la question de la nature est prégnante à partir des années 1960 [14], la représentation des paysages naturels ne sera plus l’évocation du sublime mais du retour à la nature.
Cent ans de représentations à travers les guides touristiques
En complément de l’évolution des représentations issues des cartes postales, les guides touristiques en disent long sur le système de valeurs. Émilie Bourget et Laurence Le Dû-Blayo ont comparé et analysé 4 guides touristiques illustrant la vision des paysages bretons [15]. Cette analyse montre l’évolution des préoccupations paysagères dans le temps.
La répartition géographique des mentions de sites dans ces guides touristiques montre la même tendance que pour les cartes postales : le littoral breton est survalorisé. Paradoxalement, la répartition des sites est plus diffuse en 1877, où les déplacements dépendaient des chemins de fer situés essentiellement sur la côte, qu’en 2006. Les paysages proposés sont majoritairement urbains, les motifs religieux et les éléments historiques et architecturaux sont les plus donnés à voir en 1877, et restent très valorisés en 2006. L’intérêt porté pour les objets de curiosité (menhir, etc.) a diminué au cours du XXe siècle favorisant une ouverture visuelle élargie (points de vue et panoramas). Comme pour les cartes postales, la mention des paysages agricoles n’a pas évolué, restant très faible [15] [16].
L’analyse plus spécifique sur les paysages naturels a été réalisée à partir du Guide Bleu de 1953 au chapitre « curiosités naturelles » et le Guide des Merveilles de la Nature édité en 2006 chez Arthaud. En 1953, le paysage minéral côtier est très largement dominant (rochers, écueils, grottes marines), correspondant à l’esthétisme romantique de la côte frappée par les vagues, et également au pittoresque des constructions minérales.
En 2006, l’évolution des connaissances scientifiques sur les formations végétales modifie la lecture des paysages naturels, les motifs dominants sont les formations végétales (pelouses, landes, bois et vallées, tourbières et marais). La dimension pittoresque décline, les intérêts floristiques et faunistiques augmentent nettement, avec un attrait particulier pour la promenade et le panorama [15] [17]. In fine, l’imagerie touristique évolue au gré des valeurs de la société. Elle participe aux représentations sociales des populations. Ce fonds commun est le moteur de l’action paysagère sur les territoires.
[15] Le Dû-Blayo Laurence, 2007, Le paysage en Bretagne, enjeux et défis, Plomelin, Éditions Palantines, p. 127-133
[16] Comparaison à partir du Guide Diamant de 1877 et du Guide Vert de 2006
[17] Comparaison à partir du Guide Bleu de 1953 et du Guide des Merveilles de la Nature édité en 2006 chez Arthaud
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