Documentation : B. HEULIN, Lacerta vivipara, Atlas de répartition des amphibiens et reptiles de France, pp 132-133.
Les tourbières, des lieux insalubres, sans intérêt, inexploitables ? Loin des clichés, ces zones humides regorgent en réalité d’une vie particulièrement originale pour qui sait regarder, en particulier ce qui est petit et discret. Royaume des invertébrés, les plantes y sont devenues des prédateurs à l’affût. Milieu toujours humide, les tourbières contribuent à gérer naturellement les stocks d’eau : elles atténuent les excès et contribuent à soutenir la ressource en eau quand elle vient à manquer.
Qu’est-ce qu’une tourbière ?
L’équivalent d’une « éponge géante » imbibée d’eau. En effet, il faut de l'eau en permanence pour assurer le développement des plantes aquatiques (des sphaignes) qui donnent naissance à la tourbe et beaucoup de matière organique. Cette richesse en matière organique en fait d’ailleurs des pièges à carbone atmosphérique qui contribuent à capter le CO2. Les tourbières ont alors un effet « puit » dans le cycle du carbone. Si elles sont dégradées, les tourbières au contraire libèrent le carbone vers l'atmosphère et ont un effet « source » dans le cycle du carbone. Pour qu'une tourbière se développe, il faut aussi des reliefs qui favorisent son alimentation continue en eau. Combinée à des sous-sols relativement imperméables, elle assure le maintien de nappes humides.
La tourbe est le fruit de la décomposition très lente de la végétation en milieu humide. C’est un combustible fossile.
Où trouve-t-on des tourbières en Bretagne ?
Sur des pentes de reliefs accidentés (monts d'Arrée, montagnes Noires, landes de Lanvaux, Mené et Massif de Paimpont) alimentés par des eaux de pluie et surtout un ruissellement régulier, par exemple provenant d’une source (tourbières de pente). Mais aussi dans des vallées (tourbière de vallée comme à Nesnay en Plouneour-Menez) et en bordure d'étangs aux eaux acides et pauvres en éléments minéraux (forêt de Brocéliande).
Il existe aussi quelques tourbières bombées (Venec en Finistère ; Landemarais en Parigné et tourbière des Alleux à Saint-Jean-sur-Vilaine, en Ille-et-Vilaine). Dans ces tourbières, les sphaignes (mousses caractéristiques des tourbières) croissent en hauteur, formant ainsi des coussinets spongieux et humides, tandis que leurs parties inférieures se transforment en tourbe à l'abri de l'air. Ce processus permet à la tourbière de se surélever progressivement. La partie centrale est toujours plus élevée d'où son nom de tourbière bombée.
Pourquoi la tourbe peut avoir différentes couleurs ?
La couleur de la tourbe dépend de la nature des plantes qui l'ont formée : les roseaux par exemple, fournissent plutôt de la tourbe noire, les joncs et les carex de la tourbe brune et les sphaignes de la tourbe blonde.
Comment les tourbières interagissent-elles avec le cycle de l’eau ?
Capables de retenir jusqu'à trente fois leur masse sèche en eau, les sphaignes qui poussent dans les tourbières sont comme de grosses éponges. Au même titre que les autres zones humides, les tourbières soutiennent les cours d’eau lorsque la pluviométrie baisse et atténuent l'étiage en période sèche. Et au contraire tant qu'elles ne sont pas saturées, elles réduisent les effets des crues en stockant l'eau et en ralentissant les écoulements de surface par épanchement de la nappe d'eau.
Le plus bas niveau des eaux, le plus faible débit (source : R. Brunet, Les mots de la géographie).
Comment la flore s’est adaptée à des conditions de vie extrêmes dans les tourbières ?
Dans une tourbière, les plantes doivent faire face à un microclimat froid et humide, à l'acidification de l'eau et à un sol très pauvre en oxygène, ce qui contrarie le processus normal de décomposition de la matière organique. Un sol tourbeux contient au minimum 20 à 30 % de matière organique. C’est 3 fois la teneur en matière organique des sols cultivés en Bretagne les plus riches (environ 10 %).
Les plantes multiplient les stratégies pour s’adapter à des sols qui ne les nourrissent guère. Les éricacées par exemple, pour suppléer aux carences en azote et phosphore, s'associent avec des champignons au niveau de leurs racines (les mycorhyzes) qui facilitent leur assimilation d’éléments nutritifs. Les joncs et laîches déploient un important système racinaire afin d'explorer un grand volume de sol. Mais, le cas le plus extraordinaire est certainement celui des plantes carnivores : le rossolis ou Drosera, la grassette aux feuilles gluantes ou les utriculaires. Elles capturent et digèrent des proies pour accéder à une source d'azote d'appoint.
Pourquoi les tourbières sont-elles la mémoire des paysages du passé ?
Depuis leur formation, qui remonte parfois à quelques milliers d'années, elles emprisonnent soigneusement les pollens des plantes de la tourbière et celles de leur environnement plus ou moins lointain. L'analyse de ces pollens permet de reconstituer l'histoire des variations climatiques et des usages de notre territoire au cours du temps. Il est ainsi possible de dater l'apparition des premières plantes cultivées ou associées à l'élevage, les avancées et les reculs des forêts, etc.
Quelles espèces de la faune rencontre-t-on dans les tourbières en Bretagne ?
D’après Bernard Clément, écologue à l’Université Rennes 1, « plusieurs espèces de papillons ont des cycles biologiques liés aux tourbières comme la noctuelle des myrtilles (Anarta myrtilli) ou le damier de la Succise (Euphydryas aurinia). Certaines libellules sont également caractéristiques des zones tourbeuses, c'est le cas de l'Agrion délicat (Ceriagrion tenellum) et du sympetrum noir (Sympetrum danae). Parmi les orthoptères, le criquet palustre (Chorthippus montanus) et le grillon des marais (Pteronemobius heydenii) sont aussi des hôtes réguliers de ce milieu. Enfin, chez les arachnides, citons la dolomède (Dolomedes fimbriatus), imposante araignée associée aux zones humides possédant des mares. Aux côtés de ces espèces plutôt emblématiques, existe une multitude d'invertébrés bien moins connus et étudiés (certains collemboles, par exemple, vivent en étroite relation avec des systèmes racinaires de molinie ou des sphaignes). »
Benoît Heulin, spécialiste des reptiles à la Station de Paimpont, ajoute qu’« en dehors des invertébrés, quelques batraciens pondent en masse dans les tourbières, malgré le froid. Les reptiles que l'on peut régulièrement observer, dans ou en bordure des tourbières, sont la couleuvre à collier (Natrix natrix) la vipère péliade (Vipera berus) et surtout le lézard vivipare (Lacerta vivipara). Cette dernière espèce possède une large extension septentrionale (jusqu'en Scandinavie) et est très souvent associée aux milieux humides et tourbeux dans la partie la plus méridionale (France par exemple) de son aire de répartition. »
Milieux tranquilles et délaissés, les tourbières attirent aussi toute une variété d'oiseaux. En Bretagne, la bécassine des marais et le courlis cendré y sont plus ou moins inféodés. Enfin, signalons aussi la fréquentation de ces milieux par les mammifères terrestres (putois, chevreuil, loutre, etc.).
Une espèce inféodée à un organisme ou à un milieu est une espèce qui est liée très fortement à cet organisme ou ce milieu et qui peut difficilement vivre sans celui-ci. [revoir définition et source]
Que retenir ?
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Une tourbière est un milieu naturel imbibé d'eau, au sol acide et pauvre. Sa végétation produit de la tourbe qui est un combustible fossile.
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Il existe plusieurs types de tourbières en Bretagne (de pente, de vallée, de bords d'étangs aux eaux acides, bombées) mais les plus fréquentes et les plus étendues sont les tourbières de pentes qui se développent sur des reliefs accidentés autour des crêtes des Monts d’Arrée.
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Comme les sols tourbeux fonctionnent comme des éponges, ils peuvent soit stocker de l’eau de pluie et aider à réduire l’amplitude d’inondations, soit restituer l’eau stockée au milieu naturel en période sèche.
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Comme le processus de décomposition de la matière organique est contrarié dans les sols tourbeux, ils sont extraordinairement riches en matière organique.
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Les plantes des tourbières multiplient les stratégies pour s’adapter à des sols dans lesquels les éléments nutritifs sont difficilement disponibles (association avec des champignons, très long système racinaire, régime alimentaire carnivore).
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De nombreux invertébrés ont besoin des tourbières pour mener à bien leurs cycles biologiques. On trouve également dans les milieux tourbeux, plusieurs espèces d’amphibiens, de reptiles et d’oiseaux.
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Certaines espèces de la flore et de la faune qui fréquentent les tourbières en Bretagne sont rares.