Analyse du risque environnemental des pesticides en Bretagne

Par Elodie Bardon (OEB)
en collaboration avec Yves-Marie Heno (DREAL) Thibault Vigneron (AFB)
Mise à jour : 23 novembre 2020
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1
eau
santé-environnement
patrimoine naturel
Sommaire de l'article
Une espèce d'insecte de la famille des baetidae (Ordre des Ephéméroptère), particulièrement sensibles aux pesticides en rivières

Au vu de la contamination généralisée à l’ensemble des compartiments de l’environnement, les pesticides ont nécessairement des effets directs et indirects sur des organismes non ciblés, avec des répercussions sur l’ensemble de la chaîne trophique et les écosystèmes. La surveillance de la présence de pesticides dans l'environnement, notamment dans l'eau, permet d'évaluer le risque environnemental encouru.

Selon les usages, les pesticides ont des sites d’action au sein des organismes et des modes d’actions toxiques différents. La grande majorité des insecticides agit sur le système nerveux central des insectes (effet neurotoxique), au niveau des synapses ou des axones. La sélectivité est de plus en plus recherchée avec des produits phytosanitaires comme les régulateurs de croissance qui miment l’action de certaines hormones. Ces effets biologiques délétères intentionnels envers les organismes cibles ont également des effets indésirables sur les communautés biologiques non ciblées en première intention.

Lorsque les organismes biologiques non ciblés entrent en contact avec les substances actives, ou leurs métabolites, différents processus entrent en action : absorption des substances, biotransformation, excrétion, et éventuellement accumulation dans les tissus et les organes lorsque la vitesse d’absorption dépasse la capacité d’élimination par l’organisme. Les effets toxiques, comme la modification des performances individuelles (taux de croissance, de fécondité, de survie, etc.) se manifestent à divers niveaux de l’organisation biologique (molécule, cellule, organisme, population, etc.), avec des impacts potentiels sur l’ensemble de la chaîne trophique.

La notion d'écotoxicité

Le risque environnemental dépend de la dangerosité d’une substance active (sa toxicité) et de l'exposition des milieux naturels à cette substance. Une substance très toxique mais disponible en faible quantité dans le milieu présente un risque environnemental faible, et inversement. Le risque est donc évalué selon le rapport toxicité/exposition.

L’écotoxicité des substances active se mesure au regard de leurs concentrations sans effet prévisible dite PNEC (Predicted No Effect Concentration). La PNEC est la concentration en deçà de laquelle une substance est considérée comme sans risque pour l’environnement et pour les populations qui y vivent. Plus la PNEC est faible, plus la substance est écotoxique. Elle est évaluée à partir des résultats de tests de toxicité (aiguë et chronique) menés en laboratoire sur des espèces représentatives. Des PNEC sont définis pour chacune des substances actives dans les compartiments eau douce, eau marine, sédiments, sédiments marin, sol et prédateur.

L'analyse des PNEC dans les eaux brutes de surface

Plus de 360 substances possèdent une PNEC. En 2019, 93 % des stations suivies en Bretagne présentent au moins une substance active en dépassement de PNEC. Ce chiffre augmente de manière très significative depuis 2003. Les substances à usage insecticides retrouvées dans les eaux de surface sont majoritairement mesurées à des seuils supérieurs aux PNEC. Certains pesticides fréquemment quantifiés en 2019 présentent des PNEC particulièrement  faibles comme les métabolites du métazachlore (ESA et OXA), l’acétolachlore ESA, le métolachlore, ou la terbuthylazine. La cypermetrine, insecticide de plus en plus vendu en Bretagne a une valeur de PNEC particulièrement faible (0,00008 µg/l). A l'inverse, le glyphosate, substance la plus vendue en Bretagne et très fréquemment retrouvée dans les eaux, tout comme son métabolite l’AMPA, ont des PNEC particulièrement élevées (28 et 492 µg/l).

 

 

Les normes de qualité environnementales, une approche réglementaire

Des normes de qualité environnementales (NQE) sont définies par la Directive-cadre sur l'eau pour l'évaluation de l’état chimique dans l’état écologique des masses d’eau de surface. Ces NQE sont définies comme la « concentration d’un polluant ou d'un groupe de polluants dans l'eau, les sédiments ou le biote qui ne doit pas être dépassée, afin de protéger la santé humaine et l'environnement ».
En Bretagne 39 substances actives dites « polluants spécifiques de l’état écologique » (PSEE) sont soumises à ces NQE. En 2019, seules 8 % des 281 stations suivies en eau brute de surface étaient en mauvais état vis-à-vis de leur NQE. Ce chiffre a tendance à augmenter depuis les années 2000. Alors que l’on quantifie plus de 250 substances actives dans les eaux de surface, mesurer la toxicité des seuls 39 polluants spécifiques de l’état écologique (PSEE) est une approche partielle de la nocivité des substances actives utilisées.

 

 

Évaluer la toxicité des substances en mélange

Les PNEC ou les NQE ne concernent que les substances actives prises individuellement. Les effets cumulés d’expositions à des mélanges plus ou moins complexes de substances sont peu voire jamais considérés, alors que ce sont les situations les plus rencontrées dans l’environnement. Concernant les milieux aquatiques, différents indicateurs et bio-indicateurs permettent néanmoins de traduire la réponse des milieux aquatiques à la pression phytosanitaire.

L’indice SPEAR (SPEcies At Risk) [1] qui se base sur les traits biologiques et écologiques de la communauté de macro-invertébrés, permet d’estimer sa sensibilité vis-à-vis d’une contamination aux pesticides, et par conséquent d’estimer le niveau de qualité du milieu. Des recherches et expérimentations menées en Bretagne par l’équipe « Écotoxicologie et qualité des milieux aquatiques » de l’Inra de Rennes et le Centre Helmholtz pour la recherche environnementale, montrent que ce bio-indicateur permet de rendre compte des niveaux de contamination du milieu aquatique par les pesticides [2].

L’outil diagnostic de l’indice invertébrés multimétrique (I2M2) développé pour l’évaluation de l’état biologique DCE permet une identification plus précise des pressions anthropiques les plus probables à l'origine des altérations de la qualité écologique. Il se base également sur l'analyse des modifications des traits biologiques et des stratégies écologiques utilisées par les communautés d'invertébrés benthiques en réponse aux caractéristiques de leur habitat.
L’analyse des probabilités d’altération issues de l’outil diagnostique de l’I2M2 sur le territoire breton indique qu’en 2019, sur 81 % des stations évaluées, la pression « pesticides » était  susceptible d’avoir un effet significatif sur le peuplement d’invertébrés.

 

 

[1] IESS, M., & VON DER OHE, P.-C. (2005). Analyzing effects of pesticides on invertebrate communities in streams. Environmental Toxicology and Chemistry n° 24, pp. p. 954-965.
[2] Archaimbault, V., Tison Rosebery, J., & Morin, S. (2010). Traits biologiques et écologiques, intérêt et perspectives pour la bio-indication des pollutions toxiques. (hal-00490662, Éd.) Sciences Eaux & Territoires, pp. p. 46 -p. 51.

Accéder aux données

Une datavisualisation proposant une analyse interactive des données relatives aux suivis des pesticides en eau de surface, en lien avec les impacts sanitaires et écologiques.

Cette datavisualisation proposant une analyse interactive des données relatives aux suivis des paramètres biologiques macro invertébré en eau de surface.

photo Timothee
Timothée Besse
Chef de projet Eau
Pôle nature & paysages
02 99 35 96 97