Analyse de la présence de pesticides dans les eaux brutes en Bretagne

Par Élodie Bardon (OEB)
en collaboration avec Damien Gabion (AELB) Florence Fernandez (Draaf Bretagne) Yves-Marie Heno (Dreal Bretagne)
Mise à jour : 18 novembre 2020
Niveau de lecture
1
eau
Sommaire de l'article
Ria d'Etel

L’eau est le compartiment de l’environnement le mieux surveillé et le plus règlementé vis-à-vis de la contamination par les pesticides. Les analyses effectuées sur les eaux brutes témoignent d'une contamination généralisée, notamment par des substances herbicides et de leurs produits de dégradation dont on peut observer une certaine persistance.

Les eaux brutes sous surveillance

En Bretagne la surveillance de la qualité de l’eau brute de surface est menée depuis plusieurs décennies, et de nombreux programmes de surveillance existent : le réseau de contrôle de surveillance (RCS) et de contrôles opérationnels (RCO) de la directive-cadre sur l'eau (DCE) pilotés par l’Agence de l’eau Loire Bretagne, et les programmes de surveillance pilotés par les territoires (départements, BV, Sage, réseau « CORPEP »). Près de 700 substances actives sont recherchées chaque année parmi les 300 stations concernées par ces programmes.

Les eaux souterraines font également l’objet d’une surveillance dans le cadre de la DCE. L’état chimique est évalué au travers des programmes RCS et RCO de la DCE pilotés par l’Agence de l’eau Loire Bretagne. Concernant les pesticides, 40 substances actives sont recherchées chaque année sur les 55 points concernés par ces programmes. De plus, une fois tous les 6 ans, plus de 170 substances actives sont analysées sur les 23 points du programme RCS. L’état d’un réservoir souterrain (ou masse d’eau pour la DCE) vis-à-vis des pesticides est défini au travers de l’analyse de l‘ensemble des points de suivis représentatifs de cette même masse d’eau. 24 masses d’eau souterraine sont ainsi évaluées dans le cadre de la DCE sur le territoire breton.

Par ailleurs, l’Agence Régionale de Santé Bretagne veille, en complément de la surveillance incombant aux collectivités et exploitants des installations d’eau potable, à la sécurité sanitaire de l’eau destinée à la consommation humaine (EDCH). Ces réseaux sont indépendants de ceux mis en place dans le cadre de la DCE.

De grandes tendances sont identifiables, et ce malgré l’hétérogénéité des protocoles de suivi des pesticides (i.e. nombre de substances suivies, protocole de suivi : fréquence, conditions météorologiques…), l’évolution des usages ou la mise sur le marché continue de nouveaux produits ou substances, ainsi que l’amélioration des performances des équipements analytiques des laboratoires accrédités qui rendent complexes les analyses chronologiques de la pollution de l’eau par les pesticides.

La caractérisation de la contamination de l'eau par des pesticides s'effectue au travers de l'analyse des concentrations de chaque substance ou de l'ensemble des substances présentes dans l'eau, ainsi que de leur fréquence de quantification [1]. On estime qu'il y a pollution quand des normes ou seuils, associés à chacune ou à l’ensemble des substances mesurées et définis dans le cadre de réglementations nationales ou européennes, sont dépassés (normes de qualité environnementales « NQE » définies par la DCE pour l'évaluation de l’état chimique dans l’état écologique des masses d’eau de surface, ou encore seuils en eaux brutes et eaux distribuées pour les eaux à destination de la consommation humaine « EDCH » fixées par le code de la santé publique en application des directives européennes 98/83/CE et 75/440/CEE).

[1] Définition : Comprendre la différence entre seuil de détection et seuil de quantification

Dans les eaux de surface : principalement des herbicides

L’analyse des données de surveillance en eaux brutes de surface (toutes stations hors réseau ARS) met en évidence une contamination quasi-généralisée du territoire par les pesticides. En 2019, 96 % des stations présentent au moins une substance active quantifiée, et 39 % des substances actives recherchées présentent au moins une quantification. Les herbicides sont prépondérants parmi les substances quantifiées (41,5 %) ainsi que leurs métabolites (12 %).

 

La majorité des substances fréquemment identifiées dans les eaux de surface sont des produits de dégradation

Parmi les 15 substances les plus fréquemment quantifiées en Bretagne, 9 sont des métabolites (issues de la dégradation de substances actives « mères »), avec des fréquences de quantification particulièrement élevées (> 50 %). À noter l’omniprésence (plus de 90 % des stations) des deux métabolites (ESA) et (OXA) du S-métolachore (parmi les substances les plus vendue en Bretagne avec un usage désherbant sur maïs), et du métazachlore-ESA, intégrés dans les analyses seulement depuis 2017. La plupart des substances quantifiées dépassent leur seuil de concentration sans effet prévisible pour l'environnement (seuil PNEC) et des études en cours visent à évaluer in natura les risques non intentionnels pour la biodiversité.

L’atrazine, herbicide utilisé essentiellement sur maïs à partir des années 1960 jusqu’en 2003 (date de son interdiction) ainsi que ses produits de dégradation l’atrazine-déséthyl et le 2-hydroxy atrazine, ont des fréquences de quantifications élevées (respectivement 24,5 %, 51,3 % et 53,4 %). Leurs concentrations restent faibles (0,01 et 0,02 µg/l en moyenne), mais leur présence en bruit de fond marque le caractère persistant de ces substances.

Le glyphosate, première substance active vendue sur le territoire (herbicide non-sélectif), et surtout son métabolite l’AMPA, se retrouvent dans le top 15 des substances les plus fréquemment quantifiées en 2019 dans l’eau de surface, avec respectivement 26,6 % et 56,9 % de fréquence de quantification. Ils sont retrouvés sur plus de 70 % des stations sur lesquelles ils sont recherchés. Bien que l’AMPA puisse avoir plusieurs origines (métabolite du glyphosate et de détergents), il existe une évolution similaire des fréquences de quantification du glyphosate et de l’AMPA.

Les autres substances herbides (ou leurs métabolites) se retrouvant dans le top 15 des substances les plus quantifiées en 2019, sont majoritairement utilisées en désherbage sur maïs : Diméthénamide, Bentazone, Terbuthylazine (ESA acétochlore, ESA alachlore).

Malgré une faible fréquence de quantification (7 %), le prosulfocarbe, que l'on retrouve également parmi les substances les plus vendues en Bretagne, est quantifié dans 40 % des stations sur lesquelles il est recherché, à des concentrations relativement faibles autour de 0,07 µg/l en moyenne. Il est systématiquement retrouvé dans les sols  conventionnels, à des concentrations variant de  0,4 à 1,8 mg/kg de sol (étude PHYTOSOL en cours). Le prosulfocarbe remplace notamment l’isoproturon (interdit en 2018) en désherbage des céréales d'hiver.

Voir : Top 15 des substances les plus quantifiés en eaux de surface en 2019 en Bretagne

Des concentrations en baisse, mais une plus grande diversité de substances

Le Code de la santé publique fixe des seuils en eaux brutes (2 μg/l par substance et à 5 μg/l pour la somme de substances) et eaux distribuées (0,1 μg/l par substance et à 0,5 μg/l pour la somme de substances) pour les eaux à destination de la consommation humaine (EDCH).

Sur l'ensemble des stations en eaux brutes de surface (hors réseau ARS), l'analyse des données de surveillance montre que, malgré une diminution constante depuis les années 2000, 47 % des substances quantifiées dépassent encore au moins une fois le seuil EDCH de 0,1 μg/l en 2019. 85 % des stations suivies en Bretagne sont concernées. Les substances présentant une concentration supérieure au seuil EDCH de 2 µg/l restent toutefois rares : 8 % de substances quantifiées en 2019. Ces résultats confirment que les pics de concentrations élevées (> 2 µg/l) sont désormais peu nombreux.

En revanche, lorsqu'on analyse la somme des substances dans les prélèvements, 76 % des prélèvements quantifiés en eau brute présentent une concentration en substances supérieure au seuil EDCH de 0,5 µg/l en 2019. Ce chiffre est en hausse depuis ces quatre dernières années.

Ces constats traduisent une nouvelle caractéristique de la pollution par les pesticides avec une plus grande diversité de substances utilisées simultanément mais trouvées à de plus faibles concentrations. De plus, l'analyse de nombreux métabolites, avec des fréquences de quantification élevées pose question quant à leur présence généralisée dans l'eau.
 

 

Focus : Le réseau CORPEP

La cellule d'orientation régionale pour la protection des eaux contre les pesticides (CORPEP), créée en 1990 par le préfet de région, a mis en place en 2004 un réseau de suivi régional qui a pour but d’évaluer la contamination des eaux de surface bretonnes par les produits phytosanitaires. Ce réseau se différencie des réseaux DCE et des réseaux pour l’alimentation en eau potable sur les points suivants :

  • le moment de prélèvement est ciblé autant que possible sur le régime de pluie (10 mm de pluie cumulés sur 24 h). La quantification des pesticides dans le réseau CORPEP est ainsi fortement liée aux précipitations mensuelles ;

  • un nombre très important de substances recherchées (631 dont 515 sous accréditation) ;

  • les lieux de prélèvement avec 10 stations représentatives de la Bretagne (répartition sur schiste, sur granite, en zone de polyculture élevage, en zone légumière).

Ce protocole de suivi a la particularité de rechercher les substances actives et leurs métabolites au moment où ils ont le plus de chance d’être transférés vers le milieu aquatique. Ce suivi est donc particulièrement pertinent pour identifier l’exhaustivité des substances présentes dans le milieu. Grâce à son ancienneté, ce réseau permet également d’apprécier l’évolution des niveaux de contamination dans le temps et d’évaluer l’impact des modifications des pratiques, agricoles notamment, sur la qualité de l’eau.

Dans les eaux souterraines : les herbicides également majoritaires

L’analyse des données de surveillance, selon les règles de la DCE, indique que la contamination des eaux souterraines par les pesticides touche l’ensemble du territoire. En 2018, 54 des 55 points du réseau de surveillance DCE présentent au moins une substance active quantifiée. 70 % des points de contrôle des eaux souterraines présentent un dépassement des valeurs seuils DCE (0,1 µg/l), contre 20 % en 2015. Cette augmentation s’explique en partie par l’évolution des performances analytiques des laboratoires ces dernières années : le nombre de molécules analysées est plus important et les limites de quantifications sont plus basses. On notera également que les métabolites du métolachlore et du métazachlore, particulièrement déclassants, ne sont analysés que depuis 2017.

Une inertie des eaux souterraines qui favorise la persistance des substances

43 % des 40 substances actives recherchées en 2018 présentent au moins une quantification, et 32 % présentent au moins une quantification à des teneurs supérieures au seuil défini par la DCE (0,1 μg/L). Parmi les substances à l’origine d’un déclassement, on retrouve principalement des herbicides et des métabolites d’herbicides.

En 2018, les principales substances à l’origine d’un déclassement sont les métabolites métolachlore-ESA (quantifiés sur 89 % des points, et à des teneurs supérieures au seuil de 0,1 μg/L sur 55 % des points) et métazachlore-ESA (58 % et 31 %). L’atrazine (interdite depuis 2003) et ses métabolites restent dans le top 10 des substances les plus souvent quantifiées dans les eaux souterraines : l’atrazine a été quantifiée sur 85 % des points, 85 % des points également  (et 5 % > 0,1 µg/l) pour l’atrazine déséthyl, et 24 % (5 % > 0,1 µg/l) pour l’atrazine déisopropyl déséthyl.

Certaines des substances déclassantes sont des substances interdites à la vente. La forte inertie de certaines masses d’eau souterraines permet d’expliquer la présence de ces substances même après leur interdiction et l’arrêt des ventes.

Des pesticides plus ou moins susceptibles d'atteindre les nappes souterraines

Le comportement des pesticides et leur risque de transfert vers les eaux souterraines est représenté par l’indice GUS (Groundwater Ubiquity Score, Gustafon, 1989). Le calcul de cet indice repose sur le coefficient d’adsorption et la demi-vie dans le sol des substances (« Dissipation Time » DT50 = nécessaire pour que la concentration dans le sol soit équivalente à 50 % de la concentration initiale), propriétés favorisant ou non le transfert vers les eaux souterraines. Les pesticides présentent un risque élevé de transfert vers les eaux souterraines pour un GUS > 2,8 et un faible risque de transfert pour un GUS < 1,8. Entre ces deux valeurs, il est difficile de conclure. Les principales substances actives retrouvées dans les eaux souterraines présentent un risque élevé de transfert. Concernant le glyphosate, ce n’est pas tant ses propriétés physico-chimiques (indice GUS négatif) mais bien l’usage (quantités appliquées importantes) qui pourrait expliquer sa présence dans les eaux souterraines.

 Voir : La liste des substances actives quantifiées en 2018 et indices GUS
Substances actives (SA) % point avec quantification en 2018 % point avec quantification >0,1µg/l en 2018 Indice GUS % ventes 2018 Usage principal
Métolachlore-ESA 89 % 55 % 2,17 (SA mère : S-métolachlore) 5,6 % (S-Métolachlore SA mère : S-Métolachlore, herbicide
Atrazine 85 % 0 % - - 🚫 Interdite en France depuis 2003
Atrazine déséthyl 84 % 5 % - - SA mère : Atrazine
(🚫 interdite en France depuis 2003), herbicide
Métazachlore-ESA 58 % 31 % 1,96 (SA mère : Métazachlore) 1 % (Métazachlore) SA mère : Métazachlore, herbicide
Métazachlore 58 % 0 % 1,96 - Herbicide
Acétochlore-ESA 35 % 18 % 1,88 (SA mère : Acétochlore) - SA mère : Acétochlore
(🚫 interdite en France depuis 2013), herbicide
Atrazine déisopropyl 25 % 0 % - - SA mère : Atrazine
(🚫 interdite en France depuis 2003), herbicide
Chloridazone desphényl 24 % 16 % 2,65 - SA mère : Chloridazone, herbicide
Atrazine déisopropyl déséthyl 24 % 5 % - - SA mère : Atrazine
(🚫 interdite en France depuis 2003), herbicide
2,6-Dichlorobenzamide 22 % 4 % - - Herbicide et fongicide
Diuron 22 % 2 % 1,96 - Herbicide
Métolachlor-OXA 20 % 4 % 2,17 (SA mère : S-métolachlore) 5,6 % (S-Metolachlore SA mère : S-Métolachlore, herbicide
Métazachlore-OXA 11 % 0 % 1,96 (SA mère : Métazachlore) 1 (Métazachlore) SA mère : Métazachlore, herbicide
2-hydroxy atrazine 9 % 0 % - - SA mère : Atrazine
(🚫 interdite en France depuis 2003), herbicide
Bentazone 9 % 0 % 2,28 - Herbicide
Glyphosate 4 % 4 % -0,51 14,1 % Herbicide
AMPA 4 % 0 % - 14,1 % (Glyphosate) SA mère : Glyphosate, herbicide
Bromacil 4 % 0 % - - Herbicide
Diméthachlore-ESA 4 % 0 % 2,64 (SA mère : Diméthachlore) - SA mère : Diméthachlore, herbicide
Méfénoxam 2 % 2 % 1,89 - Fongicide
Métalaxyl 2 % 2 % - - Fongicide
Chlortoluron 2 % 0 % 2,57 - Herbicide
Norflurazone 2 % 0 % - - Herbicide
Quinmerac 2 % 0 % 2,59 - Herbicide

Liste SA quantifiées en 2018 et indice GUS | Sources AELB, Traitement OEB 2019.

Focus : Le S-métolachlore et ses métabolites

Le métolachlore constitue un cas particulier. En effet, cette dénomination désigne deux substances : le métolachlore, substance interdite depuis 2003 et le S-métolachlore, substance largement utilisée depuis le retrait à la vente de l’atrazine. Le métolachlore et le S-métolachlore sont tous composés des deux isomères (R) et (S), mais alors que leur proportion est équivalente dans le cas du métolachlore (on parle de métolachlore racémique), elle est respectivement de 20 % et 80 % pour le S-métolachlore (d'où son appellation). Toutefois, lors d’analyses sur les eaux, les laboratoires fournissent généralement une globale sans distinction des isomères. Ainsi lorsque du métolachlore est retrouvé, il est n’est pas possible de dire si son origine est ancienne (utilisation du métolachlore racémique) ou récente (utilisation du S-métolachlore).

Le métolachlore apparait plus fréquemment dans les analyses de ces dernières années.  Ces quantifications concernent vraisemblablement son isomère S-métolachlore, seule forme autorisée actuellement et largement employée en désherbage du maïs en post-levée précoce (Le S-métolachlore est la 4e substance la plus vendue en Bretagne). En 2019, la contamination par le S-métolachlore concerne 81 % des stations suivies en eau de surface, avec une fréquence de quantification élevée (38 %). Cette substance est modérément mobile dans les sols, présente un potentiel de lessivage élevé et résiste à l'hydrolyse.

Le S-métolachlore se dégrade principalement en acide éthanesulfonique du métolachlore (métolachlore-ESA) et en acide oxanilique du métolachlore (métolachlore-OXA) essentiellement par biodégradation dans le sol. Le dossier d'homologation de cette substance établit une demi-vie théorique de 6 à 10 semaines pour ces métabolites. Intégrés dans les méthodes d’analyses des laboratoires depuis 2017, ces métabolites sont les substances les plus quantifiées en eau de surface (respectivement 99 et 77 % des stations suivies en 2019) et eau souterraines (respectivement 89 et 20 % des points suivis en 2018). En eau de surface, la forme (ESA) présente des concentrations relativement importantes (0,56 µg/l en moyenne) et des dépassements des seuils EDCH de 0,1 µg/l dans 93,5 % des analyses réalisées en eaux brutes de surface en 2019.

Le métolachlore-ESA et le métolachlore-OXA ont été classés comme « pertinents pour les EDCH » par l’ANSES [2] pour être réglementés par la directive relative à la qualité des EDCH. La limite réglementaire qui leur est attribuée est par conséquent la même que celle applicable au titre du Code de la santé publique aux substances actives, soit de 0,10 µg/l.

[2] Avis de l'Anses relatif à l'évaluation de la pertinence des métabolites de pesticides dans les eaux destinées à la consommation humaine, 2019

photo Timothee
Timothée Besse
Chef de projet Eau
Pôle nature & paysages
02 99 35 96 97