Aujourd’hui, les pesticides ne sont pas visés par les réglementations européennes relatives à la qualité de l’air, et il n’existe pas de normes ou de seuils permettant d’évaluer la contamination de l’air. Pourtant, de nombreuses études indiquent une contamination chronique en pesticide dans toutes les phases atmosphériques, qu’elles soient gazeuse, liquide ou particulaire, dans les aérosols, les gouttelettes de brouillard ou la pluie, avec une persistance de certaines substances dans l’air plusieurs années après leur interdiction. La Bretagne est une région pionnière dans la surveillance de la contamination de l'air par les pesticides dans différents contextes de production agricole.
Une surveillance de l'air en contexte agricole
La Bretagne est une région pionnière concernant les mesures des pesticides dans l’air : les premières y ont été réalisées en 1998. Depuis 2002, Air Breizh, association agréée pour la surveillance de la qualité de l’air en Bretagne, mène des campagnes de mesures sur le territoire dans les différents contextes de productions agricoles présents en Bretagne (grandes cultures, élevage, maraîchage).
Entre 2005 et 2015, un suivi pesticides a été réalisé annuellement sur la station de Mordelles (Ille-et-Vilaine) dans un contexte de grandes cultures. Des résidus de pesticides dans l’air ont été prélevés sur un support puis analysés en laboratoire selon un cadre méthodologique normatif [1]. Chaque prélèvement a été réalisé sur une durée d’une semaine. Le nombre de substances actives recherchées lors de chaque prélèvement hebdomadaire est variable suivant les années. Chaque année, la liste des substances est ajustée en fonction des substances appliquées sur le territoire, de l’historique des résultats (maintien des substances interdites si détectées dans l’échantillon par exemple), des propriétés physico-chimiques des substances (volatilité) et de leur toxicité. Si les résultats de ce suivi ne sont pas extrapolables à l’échelle régionale, ils témoignent du lien qui existe entre les usages agricoles et la contamination de l'air. En moyenne, sur la période 2005-2015, 20 % des substances actives recherchées sont détectées.
[1] Normes AFNOR NFX-43058 et NFX-43059
Évolution du nombre de substances actives recherchées (Air Breizh)
Accéder aux données
Les résultats des campagnes de mesures réalisées par Air Breizh sont accessibles en OpenData via le site de l'association.
Une corrélation entre calendrier cultural et pics de pollution
Les substances actives les plus détectées sont généralement les herbicides (45 % des substances détectées), puis les fongicides (35 % des substances détectées). Les insecticides représentent environ 20 % des substances détectées. Ces résultats peuvent toutefois varier en fonction de la période durant laquelle la campagne de mesures est réalisée. En effet, la majorité des substances est détectée sur la période d’avril à juin, qui correspond à une période propice au traitement phytosanitaire des cultures. Les plus fortes concentrations sont enregistrées en automne.
Évolution du nombre de substances actives détectées par famille de 2005 à 2015 (Air Breizh)
Parmi les substances actives les plus détectées, le lindane occupe la 1ère place avec près de 70 % de détection en moyenne de 2005 à 2015. L’utilisation de cet insecticide est pourtant interdite depuis 1998. Son large spectre d’utilisation ainsi que ses propriétés physico-chimiques (très peu mobile dans les sols) pourraient expliquer sa persistance dans l’air. Il est toutefois mesuré à de très faibles niveaux de concentrations.
Le chlorothalonil occupe la 2e place en termes de pourcentage de détection dans l’air. Il présente par ailleurs la concentration moyenne la plus élevée sur les 10 ans de mesures. Il s’agit du fongicide le plus utilisé en Bretagne sur les céréales (6e substance active vendue en 2018) notamment dans le cadre de la lutte contre la septoriose.
Dans ce classement, les trois substances actives suivantes sont des herbicides à savoir la pendiméthaline, le S-métolachlore (9e et 4e substances actives vendues en 2018) et l’acétochlore.
Parmi les autres herbicides mesurés, figure le prosulfocarbe, herbicide dont les ventes sont en nette progression depuis 2014 (3e substance la plus vendue en 2018). Il s’agit du composé majoritaire mesuré en automne depuis quelques années en raison de son application ciblée sur les cultures de céréales d’hiver. Suite à des signalements de dépassements de limites maximales de résidus de prosulfocarbe sur des cultures pour lesquelles cette substance active n'est pas autorisée, l'Anses a modifié le 4 octobre 2018 les autorisations de mise sur le marché à base de prosulfocarbe en maintenant l'obligation d'utiliser un dispositif homologué pour limiter la dérive de pulvérisation et en introduisant des obligations portant sur les périmètres autour des cultures non cibles afin de limiter la contamination de ces cultures.
Substances actives les plus détectées lors des campagnes 2005 à 2015 (Air Breizh)
Des sites bretons étudiés dans le cadre de projets exploratoires
Un rapport du Comité d’Orientation et de Prospective scientifique de l’Observatoire des Résidus de Pesticides [2] indique une présence avérée de pesticides dans l’air extérieur (68 % des substances actives recherchées sont quantifiées), avec un caractère saisonnier en lien avec les périodes d’applications.
Afin de caractériser globalement et durablement la contamination de l’air par les pesticides, le rapport de 2016 de la Cour des Comptes sur « les politiques publiques contre la pollution de l’air » [3] recommande la mise en place d’une surveillance nationale pérenne. Afin de définir les modalités de cette stratégie nationale, Air Breizh, en collaboration avec l’ANSES, l’Atmo et l’Ineris, a contribué sur la période 2018-2019 à une campagne Nationale Exploratoire de mesures de résidus de pesticides dans l’air ambiant (CNEP), portant sur l’analyse de 75 substances actives (y compris le glyphosate), au travers de 50 sites au niveau national dont 3 sites de surveillance bretons. D'après des premiers résultats publiés en 2020, 50 des 75 substances actives recherchées n'ont jamais été quantifiées. Selon les sites de mesures, entre 4 et 6 substances actives on été quantifiées dans plus d'un prélèvement sur deux en Bretagne. Parmi elles on retrouve les trois substances également retrouvées dans plus de la moitié des prélèvements au niveaux national : le glyphosate, le pendiméthaline, et lindane (interdit d'utilisation depuis 1998). À ces substances s'ajoutent en Bretagne le prosulfocarbe, le triallate et le S-métolachlore. La Bretagne se situe sous la moyenne national en terme de quantification de substances qui enregistrent un dépassement de seuil (0,1ng/m3), excepté pour le prosulfocarbe qui s'aligne sur les résultats nationaux.
Par ailleurs, le projet RePP’Air « Réduction des Produits Phytosanitaires dans l’Air », initié en 2017, vise à affiner la compréhension des phénomènes impliqués dans les transferts de produits phytosanitaires vers le compartiment aérien, dans l’optique d’intégrer cette question dans le conseil auprès des agriculteurs. Il est porté par la Chambre Régionale d’Agriculture Grand Est et réunit 26 partenaires. Un des 7 sites d’étude se trouve en Bretagne, dans le Morbihan, sur une activité polyculture-élevage, où 60 substances sont analysées. Le rapport sera publié courant 2020.
[2] Recommandations et perspectives pour une surveillance nationale de la contamination de l’air par les pesticides, Observatoire des Résidus de Pesticides (2010)
[3] Les politiques publiques de lutte contre la pollution de l'air - Enquête demandée par le comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques, Cour des comptes (2016)