Quelles réponses en Bretagne pour diminuer la pression phytosanitaire en agriculture ?

Par Élodie Bardon (OEB)
en collaboration avec Florence Fernandez (Draaf Bretagne) Véronique Vincent (CRAB) David Bouillé (CRAB) Stéphane Gourmaud (Conseil régional de Bretagne) Yvan Hurvois (AELB)
Mise à jour : 18 novembre 2020
Temps de lecture : 11 minute(s)
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Bande enherbée en bordure d'un champ

Le recours aux traitements phytosanitaires des cultures est aujourd'hui largement remis en cause, en raison de la contamination générale de l'environnement qu'elle induit ainsi que de ses conséquences sur la santé et les milieux naturels. La diminution de l'utilisation de ces traitements passe aujourd'hui par un renforcement de la réglementation encadrant la vente et les pratiques phytosanitaires, ainsi qu'un accompagnement des exploitations vers une transition de leur modèle agricole.

Encadrer les ventes et les pratiques agricoles

Le processus de ré-homologation des substances actives engagé avec le règlement 1107/2009 a fortement diminué le nombre de substances actives autorisées. Les réglementations européennes et nationales encadrant les mises sur le marché, la protection de la ressource en eau (DCE), et la qualité des eaux destinées à la consommation humaine se sont également renforcées. Depuis 2005, il est interdit de désherber les fossés en Bretagne (arrêtés préfectoraux de 2005 et 2008 dits arrêtés « fossé »). Le 6e programme d’action national (PAN) de la directive 91/676/CEE dite « Directive nitrate », oblige les agriculteurs à implanter des couverts dans les inter-cultures longues, et en interdit la destruction par voie chimique. Il mentionne également l’obligation d’implanter ou de maintenir « une bande enherbée ou boisée d'une largeur minimale de 5 mètres en bordure de la totalité des cours d’eau figurant sur l’inventaire départemental des cours d'eau concernés par les règles des bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE) ». Il est interdit de fertiliser et d’appliquer sur cette bande un produit phytosanitaire.

Depuis 2006, afin de préserver les cours d’eau de la contamination par les produits phytosanitaires, un arrêté interministériel impose autour de chacun d’eux une Zone de Non-Traitement (ZNT) d'au moins cinq mètres, qui complète les distances prévues dans les autorisations de mise sur le marché des produits. Les ZNT sont fixées lors de l'évaluation des produits en fonction du risque généré par leur utilisation. À ces zones s'ajoutent des « dispositifs végétalisés permanents » (DVP) dont le rôle est de limiter les transfert par ruissellement. ZNT et DVP figurent sur les étiquettes des produits. Les cours d'eau identifiés par les cartes IGN, qui servaient alors de référence pour les ZNT, ont été remplacés en 2017 par un recensement effectué par chaque préfecture de département dont les cartes sont consultables sur leur site internet. Cet arrêté a été partiellement annulé en 2019 [1] par le Conseil d'État, considérant qu'il ne prévoyait pas de dispositions suffisamment protectrices pour les riverains et les cours d’eau. Un nouvel arrêté définissant des zones de protection des riverains a ainsi été adopté fin 2019, assorti d'un décret demandant à chaque département d'adopter des « chartes d'engagement des utilisateurs » permettant notamment de réduire ces zones. Ces chartes départementales, sont accessibles sur les sites des préfectures. Elles engagent les exploitants à employer des buses réductrices de la dérive.

Mieux comprendre

Les chartes départements d'engagements des utilisateurs agricoles de produits phytopharmaceutiques sont consultables sur les sites internet des préfectures :

Par ailleurs, afin de prévenir le risque d'une exposition de l'utilisateur ou d'une pollution accidentelle de l'environnement causée par un mauvais réglage ou une mauvaise utilisation, un contrôle périodique des pulvérisateurs est obligatoire depuis 2010 et doit être renouvelé au moins une fois tous les 5 ans (prochainement tous les 3 ans au vu de la directive 2009/128 instaurant un cadre d'action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable). Il vise à limiter les risques pour les applicateurs des produits et les risques de transfert au champ pour cause de mauvais réglages, et la pollution ponctuelle lors du remplissage et/ou du rinçage. Depuis 2015, près de 5 500 machines ont ainsi été contrôlées en Bretagne.

Réduire les traitements et repenser les pratiques

Né à la suite du Grenelle de l’environnement en 2008, le plan national Ecophyto, vise la réduction de l'utilisation, des risques et des impacts des produits phytosanitaires. En Bretagne, il est décliné en feuille de route qui mobilise une vingtaine de pilotes pour 60 actions, et qui s’organise autour des 3 grands domaines : agricole, non-agricole et santé.

Le plan Ecophyto 1 avait pour objectif de réduire de 50 % l’utilisation des produits phytosanitaires à horizon 2018. En 2015, le plan Ecophyto 2 (révisé en plan Ecophyto 2+ en 2019) reprenait l’objectif des -50 % mais en l’échelonnant dorénavant sur deux temps : une première étape vise une réduction de 25 % d’ici 2020 par la généralisation de techniques alternatives déjà connues, et une seconde étape vise une baisse de 50 % d’ici 2025 en mettant en place des solutions plus innovantes et en repensant globalement les systèmes. Comptant sur la force du collectif, le plan Ecophyto prévoit la mise en place de plusieurs démarches de groupe.

Le dispositif de démonstration, d’expérimentation et de production de références sur les systèmes de cultures économes en produits phytosanitaires « DEPHY » s’articule en deux volets. Un premier volet « DEPHY ferme » rassemble des réseaux d’exploitations s’engageant volontairement à réduire leur consommation de produits phytosanitaires. En 2020, on compte en Bretagne 13 réseaux, soit 165 exploitations engagées (4 en filière légumière et 9 en polycultures-élevage). Un deuxième volet centré sur les projets innovants « DEPHY EXPE » expérimente des systèmes de culture n’utilisant les produits phytosanitaires de synthèse qu’en ultime recours. 9 projets expérimentaux sont ainsi répartis sur la région (filière horticole, légumière ou grandes cultures).

Un autre dispositif « Groupes 30 000 » vise à accompagner à l'échelle nationale 30 000 exploitations agricoles dans la mise en œuvre des changements de pratiques dans une logique globale agro-écologique, dans une démarche centrée sur la réduction significative des usages des produits phytosanitaires. en 2020, 50 groupes existent en Bretagne et rassemble plus de 680 exploitations couvrant l’ensemble des filières, en exploitations conventionnelles, biologique ou en conversion.

 

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Carte issue de la note de suivi Ecophyto Bretagne 2015-2018

 

Le suivi des quantités de substances actives vendues (QSA), l'analyse des indice de fréquence de traitement (IFT) et des NOmbre de Doses Unité (NODU), des contrôles effectués par les services de l'État, ainsi que le suivi de la qualité de l’eau, sont quelques-uns des principaux indicateurs permettant d’évaluer les progrès du plan Ecophyto.

Les fermes DEPHY visent une réduction de l'IFT par groupe de -37 % en moyenne entre 2015 et 2020. Cet objectif moyen à l'échelle du réseau se traduit par de grandes disparités entre les groupes. Les groupes DEPHY entrés dans le réseau en 2016 visent une réduction de 60 % à 85 % de l'IFT d'ici à 2020. Ceux faisant appartenant au réseau depuis 2010, et qui avaient déjà réduit leurs usages de 30 % en 2018 visent eux une nouvelle réduction moyenne d'IFT de -25 % d'ici 2020.

Évolution des IFT des groupes Écophyto en Bretagne
Évolution des IFT des groupes Écophyto en Bretagne

Mieux comprendre

Accompagner les actions collectives et individuelles

Les objectifs de la Directive Européenne Cadre sur l’Eau (DCE) de 2000, qui vise l’atteinte du bon état (écologique et chimique) des masses d’eau, se déclinent sur la totalité du territoire breton via des Schémas d’Aménagement de Gestion des Eaux (SAGE), notamment en matière de pesticides (diminution des usages agricoles et non agricoles et des concentrations dans les eaux). À l’échelle locale, la déclinaison opérationnelle de ces documents de planification fait l’objet de contrats territoriaux entre les maîtres d’ouvrages et les partenaires techniques et financiers. Le volet pesticide de ces contrats implique les agriculteurs, les collectivités et les particuliers. Les actions auprès des agriculteurs combinent à la fois des actions collectives et des actions individuelles.

Ainsi, la mise en place de plateformes de démonstration (matériels de désherbage mécanique, essais comparant différents stratégies de protection des cultures…), ou encore des réunions « bout de champ » ont vu le jour.

Le diagnostic (révisé) des parcelles à risques de transfert des produits phytosanitaires (DPR2) dresse un bilan des pratiques phytosanitaires à l’échelle des parcelles des exploitations. L’objectif est d’élaborer un plan des parcelles à risque de transferts et de bâtir des programmes d’aménagement et/ou de préconisations de pratiques agricoles adaptés au risque. L’évaluation du risque repose sur la prise en compte de la sensibilité de la parcelle au transfert, de pratiques agricoles facteurs de transport ou sources de polluants. Des préconisations de pratiques ou d’aménagements sont formulées en fonction du risque, le but étant de mettre en œuvre une combinaison de leviers. Environ 230 diagnostics DPR2 ont été réalisés en 2018, avec des programmes d’aménagement des parcelles et des pratiques visant à limiter les transferts vers les eaux : maintien d’une structuration et d’une composition du sol (exemple : taux de matière organique) favorisant l’infiltration de l’eau et limitant le phénomène d’érosion, mise en place d’aménagements pour intercepter les eaux de ruissellement (exemple : bandes enherbées), respect des conditions d’application (doses maximales, zone de non-traitement...), etc.

Depuis 2008, 7 000 km linéaires de haies ont été plantés sur le territoire breton dans le cadre du programme Breizh bocage pour aider à limiter le transfert de pesticides par érosion du sol ou dérive aérienne.

Les projets Agro-Environnementaux et Climatique (PAEC) construits à l'échelle du territoire dans le cadre de la programmation PAC 2015-2020, encadrent la contractualisation par les agriculteurs de Mesures Agro-environnementales et Climatiques (MAEC). En Bretagne ces mesures sont conçues afin de soutenir les pratiques favorables menacées de disparition (gestion des prairies humides ou remarquables, des milieux humides, du maillage bocager…), et d’accompagner les changements de pratiques (diminution des surfaces en maïs traitées au profit des surfaces en herbe non traitées, diminution des usages des produits phytosanitaires par la réduction des IFT).

Les principes fondamentaux de l’agriculture biologique visent une gestion globale des agrosystèmes et le maintien des équilibres naturels en privilégiant l’observation et les méthodes préventives de gestion des bioagresseurs. En ce sens, différents organismes (le réseau des agriculteurs bio de Bretagne (GAB-FRAB), le réseau CIVAM, les Chambres d’agriculture…) accompagnent le développement d'une agriculture biologique cohérente et durable en mettant au centre de tout projet l'approche globale du système et son autonomie. À noter que selon le règlement européen auquel l’agriculture biologique est rattachée, certains produits de protection des cultures d'origine naturelle sont utilisables en agriculture biologique sous certaines conditions. En Bretagne, les exploitant engagés dans une démarche en agriculture biologique peuvent contractualiser 2 types de Mesures Agro-environnementales : la CAB, qui vise à inciter et à accompagner des exploitations s’engageant pour partie ou en totalité dans une démarche de conversion à l’agriculture biologique, et le MAB qui accompagne des exploitations pratiquant l’agriculture biologique et ne bénéficiant pas des aides à la conversion.

Sur la période de 2015 à 2018, environ 185 millions d’euros ont été engagés pour financer les changements de pratiques ainsi que le développement de l’agriculture biologique. Près de 2 900 contrats MAEC Systèmes Polyculture Elevage (SPE) représentant près de 170 000 ha (soit 10 % de la SAU bretonne) ont été signés, ainsi que 1 000 contrats conversion (CAB) et 1 000 contrats maintien des surfaces en agriculture biologiques (MAB) représentant près de 62 000 ha (soit 3,6 % de la SAU bretonne).

Comment accélerer le mouvement ?

Au-delà d'une réglementation contraignante pour les exploitants et de leur accompagnement vers l'agroécologie, c'est une démarche concertée impliquant l'ensemble des acteurs responsables de ces contaminations et porteurs de solutions qui permettra d’aboutir à des résultats positifs.

L’évolution de l’activité de conseil, qui sera séparée par le législateur de l’activité de vente ou d’application, doit s’inscrire dans un objectif de réduction de l’usage et des impacts des produits phytosanitaires. Elle devra privilégier les méthodes alternatives aux produits phytosanitaires (lutte intégrée, désherbage mécanique, etc.) et fera la promotion des certificats d’économie des produits phytosanitaires (CEPP). Ces derniers viseront à inciter les distributeurs de produits phytopharmaceutiques utilisés en agriculture à promouvoir ou à mettre en oeuvre des actions permettant de réduire l'utilisation, les risques et les impacts de ces produits. Ces actions ouvriront droit à l'attribution de CEPP, avec un objectif de réalisation fixé pour chaque distributeur concerné de façon annuelle (2020 et 2021) puis pluriannuelle à partir de 2022.
Deux types de conseils indépendants pourront être prodigués. D’une part, le conseil stratégique, qui concerne tous les utilisateurs professionnels, agricoles ou non, est formalisé par écrit et réalisé selon une périodicité définie par voie réglementaire dans la limite maximale de trois ans entre deux conseils. Il s’appuie sur un diagnostic des contraintes liées à l'environnement dans lequel opère l'utilisateur afin d'intégrer les enjeux spécifiques de santé publique et d'environnement. D’autre part, le conseil spécifique est une préconisation écrite de produits phytosanitaire ou de substance active pour faire face à un bio-agresseur donné, notamment en cours de campagne. Il est délivré à la demande des exploitants agricoles.

Plus largement, et afin de limiter drastiquement l’usage de produits phytosanitaires, des stratégies alternatives, axées sur la prévention et les méthodes prophylactiques, qui préservent la biodiversité et intègrent la gestion des bioagresseurs dans la conception des systèmes de cultures existent et peuvent être adaptées à la diversité des situations bretonnes : utilisation de variétés rustiques, itinéraires techniques « bas intrants », matériel de désherbage alternatif, utilisation de nouvelles technologies pour mieux évaluer l’état sanitaire des cultures (exemple : drones), utilisation de la biodiversité fonctionnelle (utile à la régulation des ravageurs) à l’échelle de la parcelle et du paysage... Il s’agit de reconsidérer le système dans son ensemble et d’engager des changements profonds sur les exploitations mais aussi dans les filières.

Enfin, la prise en compte de l’impact financier des changements de pratiques, l'évolution des cahiers des charges des groupes agroalimentaires, et de la demande des consommateurs limiteront également l’usage des pesticides dans le milieu agricole.

photo Timothee
Timothée Besse
Chef de projet Eau
Pôle nature & paysages
02 99 35 96 97