Analyse de la présence de pesticides dans le sol en Bretagne

Par Élodie Bardon (OEB) Geoffrey Le Page (OEB)
en collaboration avec A. Barranger (Université Rennes 1) F. Binet (CNRS - Université Rennes 1) C. Froger (INRAE)
Mise à jour : 18 novembre 2020
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Lombric

Du fait de l'importance de l'utilisation de produits phytosanitaires en agriculture, le sol est in fine le compartiment de l’environnement qui reçoit directement ou indirectement la plus grande part des produits épandus. Malgré son rôle en tant qu'interface entre l'air et l'eau, ainsi qu'en tant qu'important réservoir de biodiversité, on déplore une rareté des études à grande échelle sur sa contamination par les pesticides (sur un nombre de sites et de composés étudiés supérieurs à 10), notamment concernant les substances actuellement en cours d’utilisation.

Pas de surveillance d'envergure de la pollution des sols

Contrairement à l'eau, aucune législation européenne ne vise spécifiquement la protection des sols. Les décideurs, les scientifiques, les entreprises et les citoyens acceptent et comprennent généralement que la pollution de l'air et de l'eau peut avoir des impacts négatifs sur la santé humaine, mais les impacts de la pollution du sol sur notre santé et l’environnement sont beaucoup moins connus et moins bien compris [1].

Par ailleurs, le manque d'information sur la dynamique et le devenir de la contamination chimique dans les sols, en termes de nature et de quantité de substances possiblement présentes est criant. À la fois, la rareté des informations sur les pratiques et les usages, et le coût prohibitif des analyses à partir de la matrice "sol" (en lien avec les difficultés techniques de détection) limitent la mise en place de plan de surveillance robuste. Ainsi, les études de contamination dans les sols sont souvent axées sur une évaluation ponctuelle du niveau de contamination.  Enfin, la rareté des observations in situ tient paradoxalement au fait que la contamination des sols par les pesticides dans des zones agricoles est implicite, du fait des usages de produits phytosanitaires qui y sont concentrés.

[1] Science for Environment Policy In-depth Report : Soil Contamination: Impacts on Human Health. Report produced for the European Commission DG Environment, September 2013.

Pourquoi surveiller la présence de pesticides dans les sols ?

La surveillance des pesticides (et notamment des pesticides actuellement autorisés) dans les sols doit être considérée comme une action nationale ou internationale prioritaire [2], car il s'agit :

  • d'une action complémentaire logique à la surveillance de l'eau ;

  • d'une source de données réalistes sur l'impact environnemental de l'usage et de la gestion des sols en agriculture ;

  • d'un indicateur important de la qualité des sols [3] ;

  • d'un précieux support de données pour la politique environnementale durable, la prise de décision en matière de gestion de l'utilisation des terres, la protection de l'environnement et les pratiques agricoles ;

  • d'un outil de contrôle et d'alerte post-enregistrement nécessaire ;

  • d'une rétroaction utile aux autorités phytosanitaires et à la vérification du processus de règlementation (par exemple, validation des modèles de devenir environnemental) ;

  • et d'un moyen de mesurer l'efficacité après l'interdiction de composés individuels [2].

[2] Currently and Recently Used Pesticides in Central European Arable Soils, Hvězdová et al. (2018).
[3] Selon l'Agence Européenne pour l’Environnement, 2006.

Des travaux de recherche pionniers en cours en Bretagne

Le laboratoire de recherche en écologie (Ecobio Rennes, CNRS/Université de Rennes 1) à l'origine de plusieurs travaux sur l’écodynamique des pesticides dans l’environnement depuis 1999 [4], coordonne actuellement deux projets, financés par la fondation François Sommer (projet BUZHUG), ainsi que la Dreal Bretagne et l’Agence de l’eau Loire-Bretagne (Projet PHYTOSOL), qui visent à dresser un inventaire de la contamination résiduelle des sols par les pesticides en Bretagne et évaluer les expositions de la biodiversité non-cible.

Afin d’évaluer cette contamination par les résidus de pesticides, l’échantillonnage est effectué sur différentes parcelles cultivées (en grandes cultures) et éléments naturels (prairies) dans les Côtes-d'Armor, le Finistère, l'Ille-et-Vilaine et le Morbihan, représentatifs des contextes de production hors maraîchage. L’inventaire des contaminations repose sur un double échantillonnage, synchronique et diachronique. L’approche synchronique, réalisée à l’automne 2018, consiste en l’échantillonnage de 27 parcelles réparties en Bretagne. Différents points de prélèvements au sein de chaque parcelle ont été réalisés pour tenir compte de l’hétérogénéité de la contamination intra- parcelle.  L’approche diachronique, mise en place à partir d’un nombre plus restreint de parcelles, prévoit de renouveler régulièrement l’échantillonnage pour documenter la temporalité de contaminations de sols. Deux campagnes en 2019 (printemps/automne) ont ainsi été réalisées.

Les analyses de pesticides concernent le dosage des multi-résidus qui consiste à mesurer par une même méthode analytique de plusieurs substances (73 molécules) avec des propriétés physico-chimiques variées, et le dosage à part des composés très polaires comme le glyphosate (AMPA, glufosinate) qui nécessitent des méthodes analytiques spécifiques. Chaque échantillon de sol est analysé selon cette double méthode afin d’avoir un aperçu le plus réaliste possible de la contamination des sols.

[4] Kersanté, 2003 ; Monard, 2008 ; Givaudan, 2014, Barranger (en cours), sous la responsabilité de Françoise Binet, directrice de recherche à  l’INstitut d’Écologie et de l’Environnement du CNRS

Le glyphosate systématiquement détecté dans les sols

Le glyphosate et son métabolite l’Ampa sont systématiquement détectés dans les sols, sur l’ensemble des parcelles étudiées, les concentrations variant de 0,01 à 2,779 mg/kg sol pour le glyphosate et de 0,01 à 0,164 mg/kg pour l'Ampa, sans différence significative entre sols cultivés (biologique ou conventionnel) ou sols prairiaux. Les résultats sur les multi-résidus sont en cours d'acquisition. Le S-métolachlore et le métolachlore-ESA (l’un des métabolites principaux du S-métolachlore) sont les molécules herbicides que l’on retrouve systématiquement dans les sols conventionnels aux concentrations moyennes respectives de 3,7 et 2,4 mg/kg de sol. Toutefois, des concentrations extrêmement élevées en S-métolachlore, jusqu'à 20 fois plus, ont été enregistrées dans certaines situations agronomiques et pédologiques en automne 2018. Le prosulfocarbe est retrouvé systématiquement dans les sols conventionnels à des concentrations variant de 0,4 à 1,8 µg/kg de sol.

Le métolachore-ESA se bioconcentre fortement dans les organismes du sol

Sur les 73 molécules de pesticides recherchées, 26 ont été détectées dans les vers de terre. À titre d’exemple, parmi les molécules les plus fréquemment détectées sont par ordre décroissant le métolachlore-ESA, l’imidaclopride, l'époxyconazole, le fluxapyroxad, le mésotrione, le tébuconazole. Le métolachore-ESA est de loin la molécule la plus fortement retrouvée dans les vers de terre issus de sols conventionnels, les concentrations y dépassent souvent 500 ng/g de ver (maximum détecté à 747 ng/g) ce qui représente des taux d’accumulation extrêmement élevés (le rang habituel étant inférieur ou de l’ordre de la dizaine de nanogramme par gramme de ver) [5].

Le nombre de molécules retrouvées dans les vers est corrélé au mode de gestion des sols, le nombre maximal étant obtenu pour les vers issus des sols conventionnels (jusqu’à 14 molécules quantifiées, incluant le glyphosate et son métabolite l'Ampa), le minimum de molécules étant indifféremment observés pour les sols prairiaux ou cultivés en agriculture biologique. Le glyphosate et/ou son métabolite l'Ampa sont systématiquement retrouvés dans les vers de terre, et ce dans des concentrations similaires, qu'ils proviennent de sols cultivés ou de sols prairiaux.

[5] Etude Phytosol, Dreal Bretagne - Agence de l'Eau Bretagne-Loire, Barranger A. et F. Binet, 2020.

Le sol : récepteur mais aussi source de contamination sur le long terme

Ces études incitent à développer des évaluations de la toxicité de mélanges de résidus de pesticides sur une large gamme d’espèces vivant dans le sol, afin de conduire des évaluations de risque environnemental plus complètes et plus précises. Elles mettent aussi en évidence la nécessite de considérer les sols lors de l’évaluation globale des transferts de pesticides dans l’environnement puisqu’il est à l’interface entre l’air, les eaux, et peut être à la fois récepteur mais aussi source de ces contaminants sur le long terme.

C’est dans ce cadre qu’a émergé le projet de recherche de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation (Anses) sur la phytopharmacovigilance dans les sols, Phytosol-RMQS, piloté par l’Inrae. Ce projet, démarré en 2019, a pour but d’évaluer la faisabilité et la pertinence d’une surveillance des résidus de pesticides dans les sols à l’échelle nationale. Il est adossé au Réseau de Mesures de la Qualité des Sols (RMQS) mis en place depuis l’an 2000 afin d’apporter des informations sur la contamination des sols (métaux, contaminants minéraux et organiques), de réévaluer avec précision les stocks de carbone des sols et de cartographier la biomasse microbienne des sols. Ce réseau repose sur le suivi de 2 240 sites répartis uniformément sur le territoire français (métropole et outre-mer), sur lesquels des prélèvements d’échantillons de sols, des mesures et des observations sont effectuées tous les 15 ans (la première campagne de prélèvement en métropole « RMQS1 » s'est déroulée de 2000 à 2009. La deuxième campagne « RMQS2 » se déroulera de 2016 à 2027.

photo Timothee
Timothée Besse
Chef de projet Eau
Pôle nature & paysages
02 99 35 96 97