Comment sur le littoral breton fait-on face aux risques d'érosion-submersion ?

Par Morgane Guillet (OEB)
en collaboration avec Géraldine Amblard (Dreal Bretagne) Élise Poireau (Dreal Bretagne) Ronan Le Lous (Dreal Bretagne) Gwenal Hervouët (Conservatoire du littoral) Tony Durozier (Conservatoire du littoral) Vincent Ducros (Préfecture du Finistère) Guillaume Esteva Kermel (CCPBS)
Mise à jour : 12 juin 2020
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mer et littoral
risques
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Sources

[1] Voir les travaux de Catherine Meur-Férec et Élisabeth Michel-Guillou : Place des risques côtiers dans les représentations sociales du cadre de vie d'habitants de communes littorales, 2014. Dans Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale (n°101).

Photo plantation d'oyats et de ganivelles à Treffiagat

En Bretagne, la problématique de recul du trait de côte et la question de la prise en compte de l’élévation du niveau de la mer se posent de façon pressante aux territoires côtiers. Sur les sites menacés par l’érosion côtière et les submersions marines, différentes stratégies de gestion du littoral existent.

Face aux risques côtiers d'érosion et de submersion marine, trois approches distinctes de gestion du littoral sont apparues successivement : la première est caractérisée par la volonté de fixer le trait de côte (ouvrages de protection contre la mer), la seconde consiste en une approche plus souple (rechargement en sable, ganivelles, renforcement des zones naturelles), et la troisième concerne la stratégie de repli face à la mer.

Entre gestion « dure »...

Dans les années 1960-1970, avec l’accélération de l’urbanisation du littoral, les collectivités et propriétaires de biens exposés à la mobilité du littoral ont tenté de fixer le trait de côte de manière artificielle pour se protéger. Ils ont fait construire des ouvrages de défense contre la mer comme des murs et des perrés, des digues, des épis ou des brise-lames. Cette solution d’aménagements « lourds » est très coûteuse et a parfois engendré des effets contraires à ceux attendus, pouvant conduire à l’amaigrissement des plages ou accentuer l’érosion à proximité, d’où une multiplication des ouvrages de défense aboutissant parfois au bétonnage quasi-intégral du littoral. Aujourd’hui, l’artificialisation du trait de côte se poursuit à bien des endroits, mais il est aussi possible d’employer des solutions alternatives dites « souples » ou « douces », afin d’éviter les effets pervers des ouvrages de défense.

Photo de trois systèmes anti-érosion

Crédit photo : Didier San Martin - AdobeStock | Ici, trois systèmes anti-érosion protègent les habitations : un enrochement à gauche, des pieux au milieu et un épi rocheux au fond.

... Et gestion « douce »

La gestion souple du trait de côte vise à maintenir des systèmes naturels qui ont un effet protecteur.

 

L’idée générale n’est plus d’aller « contre » la mer mais d’accompagner le mouvement de recul du littoral dans les secteurs qui le permettent.

 

L’une des préconisations est de préserver ou renforcer les espaces naturels côtiers situés entre la mer et les habitations (plages, dunes, rochers littoraux, lagunes, herbiers, marais et prés salés, etc.). Ces milieux constituent des barrières naturelles contre les risques de submersion marine ou d’érosion. Ils ont un effet tampon, absorbant et atténuant l’impact des vagues ou du vent. Ainsi, restaurer une végétation dunaire dégradée (implantation d’oyats), couvrir des dunes au moyen de branchages et/ou poser des ganivelles (barrières de châtaignier) évitent que le vent n’emmène le sable à l’intérieur des terres. Les dunes se consolident et protègent des submersions. De la même manière, un marais maritime entre la mer et les premières habitations freine les houles et permet d’atténuer leur action érosive en cas de tempête. Les cordons de galets ont également cette fonction.

Mieux comprendre

  • Le Conservatoire du littoral prépare le retour de la mer dans un marais maritime poldérisé en baie de Lancieux.

  • Le Ministère de la transition écologique et solidaire met à disposition une brochure montrant différents cas pratiques de solutions fondées sur la nature en France.

  • L'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique propose également des solutions fondées sur la nature pour s’adapter au changement climatique.

Photo Chantier participatif de plantation d'oyats à Treffiagat

Crédit photo : Guillaume Esteva-Kermel | Chantier participatif de plantation d'oyats à Treffiagat

Le Conservatoire du littoral

Le Conservatoire du littoral a notamment joué un rôle important en Bretagne dans la préservation des zones littorales. Depuis 1975, cet organisme national a pour mission d’acquérir les espaces fragiles et remarquables des rivages français pour aider à leur conservation, en limitant l’urbanisation et ses dérives. L’objectif étant de constituer un réseau de sites naturels valorisés et en bon état. Le Conservatoire a notamment fait l’acquisition de secteurs dunaires fortement érodés, en lien étroit avec les collectivités concernées, comme les grandes dunes de Keremma, pour les restaurer et y assurer un accueil du public (randonneurs, plagistes, etc.). En supprimant des zones de caravaning sauvage dans ces secteurs, et en aménageant des aires de stationnement en retrait des dunes, il a permis de restaurer ces habitats naturels par essence fragiles et rares. Autre acquisition emblématique du Conservatoire : le sillon de Talbert. Cette flèche de galets aux dimensions spectaculaires attire près de 100 000 visiteurs par an. D’importants travaux de restauration et de protection ont permis une reconquête écologique du milieu en limitant l’impact de la fréquentation piétonne (oiseaux migrateurs, espèces végétales).

Déplacer biens et activités

S’il n’existe pas de zone tampon, il peut être envisagé de relocaliser les enjeux ailleurs (bâtiments, population, route etc.). Le déplacement des biens et activités permet de redonner un espace de respiration aux écosystèmes littoraux et réduit ainsi durablement les risques. Une telle relocalisation a déjà été effectuée en Bretagne dans les années 1990, sur la pointe du Raz, à l’initiative des communes, des collectivités territoriales et du Conservatoire du littoral. Afin d’éviter la dégradation paysagère liée au flux de touristes, le parking de 800 places, les restaurants, boutiques de souvenirs et l’hôtel d’Iroise sortis de terre entre 1958 et 1962 furent démolis. Un nouvel espace commercial, en partie enterré et non visible, fut créé. La lande fut restaurée et entretenue, et le parking déplacé d’un kilomètre dans les terres, des chemins d’accès bien balisés donnant désormais accès au site.

Au niveau national, des réflexions sont en cours sur la relocalisation des biens et activités exposés, ou « recomposition spatiale », et notamment sur son financement. Il s’agit pour ces communes de s’assurer du devenir des biens aujourd’hui menacés par les submersions marines (campings, commerces etc.), en proposant une réorganisation urbaine à long terme.

Photo aérienne Pointe du Raz

Crédit photo : Orthophotographie Finistère - Mégalis Bretagne et département du Finistère, 2015 (GéoBretagne) | En 1991, le parking de la pointe du Raz (à droite) a été déplacé de 1 km de l’endroit où il se trouvait initialement (à gauche) pour protéger le site de l’érosion.

Face à la réticence de la population

Ce mode de gestion n’est cependant pas sans poser des problèmes à l’échelle locale. Les élus locaux sont confrontés à des difficultés juridiques et à un manque de disponibilité de terrains constructibles en arrière-littoral. Surtout, ils se heurtent à la crainte des riverains vis-à-vis de l’option de la relocalisation des enjeux. Différentes études sur les perceptions des risques côtiers [source 1] montrent que les personnes exposées préfèrent défendre le bâti existant avec des structures « lourdes » de protection, très coûteuses, plutôt que de se replier.

 

Les personnes vivant en bord de mer ont un fort attachement à leur lieu de vie et ont tendance à minimiser les risques.

 

Il existe donc un décalage entre la perception du risque des populations riveraines et les solutions préconisées par l’État. Il apparaît aujourd’hui essentiel de prendre en compte la dimension humaine et sociale dans l’élaboration de stratégies locales de gestion du littoral. Les représentations sociales renseignent sur la façon dont les habitants conçoivent le risque et sur leurs préférences en termes d’aménagements (fixer le trait de côte, ne rien faire, reculer, etc.)

Quelle stratégie adopter ?

Le choix d’une stratégie plutôt qu’une autre repose sur la prise en compte des enjeux et une analyse coûts/bénéfices. Les deux positions, défense et repli, ne sont pas forcément incohérentes puisqu’elles peuvent correspondre à deux échelles temporelles différentes : mettre à l’abri aujourd’hui et préparer des relocalisations pour demain. Il est ainsi possible de consolider un ouvrage de défense contre la mer déjà existant, tout en arrêtant la construction de nouveaux logements dans les zones sensibles (PPRL), en informant la population de la réalité des risques et en étudiant l’option de la relocalisation à plus long terme dans un contexte d’adaptation au changement climatique. Ces stratégies se construisent dans une logique d’intérêt général, en concertation avec la population et les acteurs du territoire. Elles peuvent aussi se combiner dans l’espace en utilisant les milieux naturels comme interface entre la mer et les zones à fort enjeux, protégées par des ouvrages.

Des actions locales en Bretagne

Des collectivités littorales ont engagé l’élaboration de Stratégies Locales de Gestion Intégrée du Trait de Côte (SLGITC) qui doivent orienter les choix d’aménagement futurs pour s’adapter à l’élévation du niveau de la mer et aux risques d’érosion-submersion. C’est notamment le cas de la Communauté de Lesneven Côte des Légendes (CLCL), d’Auray Quiberon Terre Atlantique, du golfe du Morbihan Vannes agglomération, accompagnées du Parc naturel régional du golfe du Morbihan.

Le département du Finistère, particulièrement exposé aux risques d’érosion et de submersion de par son grand linéaire côtier (1 200 km), a lancé le partenariat « Litto’Risques » avec le Cerema et l’UBO afin d’accompagner les collectivités finistériennes dans leur gestion du trait de côte (mise en place d’une observation régulière du littoral, suivi de l’évolution de la vulnérabilité face aux risques côtiers, aide aux projets d’aménagements côtiers, actions de sensibilisation, etc.). D’autres collectivités (EPCI ou communes) ont aussi des réflexions à des échelles variées. Les intercommunalités (communautés de communes, d’agglomération), au contact de la population et des acteurs du territoire, sont les plus à même d’élaborer et mettre en place des stratégies locales. De plus, elles sont dotées de compétences d’aménagement du territoire et de défense contre les inondations et contre la mer (compétence « Gemapi »). Des actions sont également menées au niveau départemental. Les directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) intègrent les connaissances sur le trait de côte et les enjeux afin d’identifier la « vulnérabilité départementale » et la porter à connaissance des collectivités.

Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations

Mieux comprendre

  • Fiche du Ministère de la transition écologique et solidaire sur l'adaptation des territoires aux évolutions du littoral en France.

  • Guide méthodologique pour élaborer une stratégie de gestion durable du trait de côte en Bretagne. Trois territoires littoraux bretons ont participé à son élaboration : Lamballe Terre et Mer (22), Communauté Lesneven Côte des Légendes (29), le Parc naturel régional du Golfe du Morbihan (56).

photo Emmanuele Savelli
Emmanuèle Savelli
Cheffe du pôle communication
Pôle communication
02 99 35 45 83

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