Sécheresses en Bretagne : vulnérabilités et changement climatique

Par Adeline Louvigny (rédactrice scientifique OEB), Elisabeth Colnard (chargée data Climat OEB), Pierre d'Arrentières (chargé de mission Adaptation climat OEB)
en collaboration avec Ronan Abhervé (Université Rennes 1), Luc Aquilina (Université Rennes 1), Franck Baraer (Météo France), Élodie Bardon (Creseb), Alexandre Boisson (BRGM), Lola Corre (Météo France), Vincent Dubreuil (Université Rennes 2, HCBC), Gérard Gruau (Université Rennes 1), Romain Pansard (Creseb)
Mise à jour : 06 septembre 2023
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changement climatique
eau
Organismes associés
Sommaire de l'article
Sources

Abhervé R. (2022), Intégration du changement climatique dans la gestion de la ressource en eau : exemple du bassin rennais, Université de Rennes 1, thèse de doctorat.

Amiot L. (2023), Le changement climatique en Bretagne : cartographie sur la période observée (1951-2020) et future (2031-2100), Norois 2023/1 (n°266), pp.7-25.

Amiot L. (2020,2021), Impacts des changements climatiques sur la ressource en eau en Bretagne : Approche exploratoire à partir des données historiques et des données du portail Drias (avec mise à jour des analyses en 2021), projet DEMOCLIM, Université Rennes 2, Mémoire de stage Master 2.

BRGM (2008), SILURES Bretagne (Système d’Information pour la Localisation et l’Utilisation des Ressources en Eaux Souterraines).

ClimatHD, L'évolution constatée du climat et Les tendances des évolutions du climat au XXIe siècle, Météo France, consulté en juin-juillet 2023.

CRPF Bretagne – Pays de la Loire (2019), Caractérisation et évolution du climat en Bretagne.

DRIAS "Les futurs du climat" (2020), données et projections climatiques.

Dubreuil, V. (2022), Le changement climatique en France illustré par la classification de Köppen. La Météorologie, 116, 37-47.

Haut Conseil Breton pour le Climat (2023), Le changement climatique en Bretagne, bulletin 2023.

IPCC (2021), Climate Change 2021: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Masson-Delmotte, V., P. Zhai, A. Pirani, S.L. Connors, C. Péan, S. Berger, N. Caud, Y. Chen, L. Goldfarb, M.I. Gomis, M. Huang, K. Leitzell, E. Lonnoy, J.B.R. Matthews, T.K. Maycock, T. Waterfield, O. Yelekçi, R. Yu, and B. Zhou (eds.)]. Cambridge University Press, Cambridge, United Kingdom and New York, NY, USA, 2391 pp. doi:10.1017/9781009157896.

Lamy et Dubreuil (2013), Impact potentiel du changement climatique sur les sécheresses pédologiques en bretagne au 21ème siècle, Climatologie vol. 10(2013) 107-121.

Makaho, système de visualisation cartographique des tendances dans les données des stations hydrométriques, INRAE.

Oracle (2021), Etat des lieux sur le changement climatique et ses incidences agricoles. Chambre d’agriculture de Bretagne.

Soubeyroux et al. (2020), Les nouvelles projections climatiques de référence DRIAS-2020 pour la Métropole. Météo-France

sol fissuré par la sécheresse

C’est un des (nombreux) messages-clés du sixième rapport du GIEC qui revient régulièrement à nos oreilles : avec le changement climatique, les sécheresses seront plus fréquentes, plus sévères et toucheront plus de régions. Exceptée la partie nord de l’Europe, dont le Royaume-Uni, l’ensemble du continent est concerné par cette affirmation, tout particulièrement dans le bassin méditerranéen.

Qu’en est-il de la Bretagne, qui dans l’imaginaire collectif est un territoire intimement lié à la pluie ? 2022 nous a douloureusement rappelé que notre région est sensible aux sécheresses, du fait de sa géologie et ses caractéristiques hydrographiques. L’occupation des sols, tout particulièrement l’agriculture et l’urbanisation, influencent aussi la vulnérabilité de la région à cet aléa climatique. Mais peut-on affirmer que les sécheresses bretonnes seront plus nombreuses et intenses sous l’effet du changement climatique ? 

Afin d'évaluer l’évolution des sécheresses, Météo France calcule le pourcentage annuel de la surface touchée par la sécheresse des sols. On peut ainsi, pour un territoire donné, comparer des années entre elles et voir, ou non, une tendance. 

En Bretagne, 1989, 1976 et 2022 sont, dans l’ordre, les trois années aux événements de sécheresse les plus sévères depuis le début des mesures en 1959. La moyenne décennale ne permet pas de conclure à une « augmentation nette de la surface des sécheresse » précise Météo France dans son outil ClimatHD. Au niveau national, cependant, l’organisme météorologique constate une « augmentation de la surface des sécheresses passant de valeurs de l’ordre de 5 % dans les années 1960 à plus de 10 % de nos jours ». 

Si elle a l’avantage de simplifier la lecture de l’évolution des sécheresses, cette démarche se base sur un indicateur qui mesure l’humidité des sols, le SWI. Il ne permet pas de représenter la complexité du phénomène sécheresse, qui n’intègre pas seulement un déficit d’eau dans le sol, mais aussi à d’autres niveaux du cycle de l’eau.

L'indice d'humidité des sols SWI

Le SWI estime l’état de la réserve en eau du sol superficiel par rapport à la réserve utile, soit l’eau disponible pour les plantes. Cet indice varie entre 0 et 1, zéro étant un sol où les végétaux ne peuvent plus tirer d’eau (sol très sec), 1 étant le stade où le sol est saturé d’eau et a atteint sa réserve utile.

S’il est techniquement possible de mesurer l’humidité du sol à différentes profondeurs, le dispositif est complexe et extrêmement couteux à mettre en œuvre. Météo France estime donc le SWI via modélisation numérique, à partir de données météorologiques mesurables comme la température de l’air, les précipitations, le rayonnement, le vent, etc.

Différentes vulnérabilités pour différents types de sécheresse

« Sécheresse » est un terme très généraliste, qui peut exprimer un déficit en pluie, une diminution de la disponibilité en eau dans les sols, ou une baisse du niveau des eaux de surface et souterraines. A ces trois réalités se rattachent trois types de sécheresse : respectivement météorologique, des sols (induisant des sécheresses agricole et écologique) et hydrologique. Ces sécheresses sont interconnectées et s’alimentent les unes les autres, de manière plus ou moins rapide et forte selon les caractéristiques du territoire, et les activités humaines.

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Les trois types de sécheresse et leurs facteurs climatiques liés

Les relations entre précipitations, eaux souterraines et de surface en Bretagne

Un gradient de précipitations : l’Est quasi deux fois moins arrosé que l’Ouest

En Bretagne, il fait beau plusieurs fois par jour, dit-on pour plaisanter aux touristes. L’image d’une région pluvieuse lui colle à la peau, à tort et à raison : si l’ouest du territoire est caractérisé par une pluviométrie importante, avec plus de 1300mm de cumul annuel sur les reliefs finistériens, il tombe presque deux fois moins de pluie du côté oriental, en Ille-et-Vilaine et au nord-est des Côtes-d’Armor (moins de 700mm pour le bassin rennais). (CRPF Bretagne Pays de la Loire, 2019)

Des nappes à faible capacité de stockage, très sensibles aux variations de pluies

La région bretonne fait partie du Massif armoricain, constitué de roches anciennes très peu poreuses, principalement des schistes, grès et granites, ce qui rend son sol et son sous-sol peu perméables, avec un réseau hydrographique relativement dense. La grande majorité des aquifères bretons se situe dans la partie supérieure de ces structures géologiques : ils sont de taille réduite, avec des capacités de stockage faibles, répartis sur tout le territoire et sont très connectés avec le réseau hydrologique de surface.

Aquifère et nappe phréatique

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, une nappe phréatique n’est pas un lac souterrain où l’eau stagne. Tout comme en surface, l’eau souterraine se déplace, circule, depuis l’endroit où elle s’est infiltrée dans le sol jusqu’aux rivières.

Si une formation géologique, grâce à sa porosité et sa perméabilité, est capable de laisser circuler et/ou stocker l’eau, on dit alors qu’elle est aquifère. Les nappes sont là où l’eau circule dans les pores, fissures et fractures de la roche : plus la roche est poreuse, plus elle pourra stocker de l’eau (fonction capacitive) et plus elle est perméable, meilleure sera sa circulation (fonction transmissive).

L’aquifère est donc le contenant, et la nappe, le contenu, là où l’aquifère est saturée d’eau. La transition entre la zone saturée, et la zone non-saturée d’eau de l’aquifère détermine le niveau de la nappe.

Pour en savoir plus sur les nappes et leur suivi en France, consultez le site du BRGM.

Les pluies efficaces

Sur l’ensemble des précipitations qui tombent sur le sol breton, seuls 39% alimenteront les cours d’eau et nappes phréatiques : c’est ce que l’on appelle les pluies efficaces. Elles sont définies comme la différence entre les précipitations, et la fraction de l’eau évapotranspirée.

Elles sont logiquement moins élevées au printemps et en été, la période où les plantes utilisent cette eau pour leur croissance, et la retournent vers l’atmosphère par transpiration.

C’est ainsi que l’automne/hiver est appelée période de recharge durant l’année hydrologique, car c’est là que les aquifères et rivières peuvent se remplir.

Ces aquifères dits de socle sont composés d’une partie supérieure où la roche est altérée (les altérites), et une partie inférieure appelée « horizon fissuré », avec un réseau de fractures. Les altérites ont une porosité importante, ce qui leur permet de jouer le rôle de zone de stockage, un peu comme une éponge, tandis que les horizons fracturés ont une porosité globalement plus faible, les fractures servant de conduits pour la circulation et l’alimentation des rivières en eau.

Des capacités de stockage en eau réduite, et une vitesse de circulation rapide de l’eau dans les fractures : cette double caractéristique des aquifères bretons les rend très sensibles aux variations de pluies efficaces. Leurs vitesses de remplissage en hiver, et de vidange en été sont très rapides, et de ce fait, la moindre sécheresse météorologique peut se propager à ces aquifères, avec des conséquences également très rapides sur le débit des cours d’eau.

On retrouve également des aquifères alluviaux, de plus grande capacité de stockage (les alluvions de la Vilaine et de l’Oust), et quelques aquifères de petits bassins sédimentaires tertiaires, comme celui de situé au sud de Rennes, également productifs et fortement exploités pour la production d’eau potable.

Un réseau très dense de cours d’eau, alimentés en bonne partie par les aquifères

Quelques grands bassins versants au centre et à l’Est (Vilaine et Oust), et toute une mosaïque de petits et très petits bassins qui bordent le littoral, tout particulièrement sur la partie la plus occidentale du Finistère : tel est le profil hydrographique de la Bretagne qui possède un grand linéaire de plus de 30.000km de cours d’eau, très ramifié à sa périphérie. Ces cours d’eau sont alimentés à la fois par les écoulements de surface, via le ruissellement, et de subsurface, par les écoulements souterrains provenant des aquifères de socle décrits plus haut. Ces aquifères étant superficiels, ils contribuent fortement au débit des cours d’eau bretons, entre 40% et 80%, selon l’étude SILURES du BRGM de 2008 (qui ne prend pas en compte les bassins versants côtiers).

Le passé et les futurs des sécheresses en Bretagne

Les trois scénarios d’émissions de GES utilisés pour nos projections

Les projections climatiques évoquées ici sont issues de la base de données DRIAS, classées selon les trajectoires RCP d’évolution des concentrations de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère, définies par le GIEC dans son 5ème rapport d’évaluation. Afin de faciliter la lecture des projections, nous avons choisi de décrire ces trajectoires selon les scénarios d’évolution des émissions anthropiques de GES.

  • Le scénario dit d’émissions maîtrisées est celui qui prévoit une diminution des émissions de GES dès le début des années 2020. Il correspond à la trajectoire RCP2.6, qui permettrait de limiter le réchauffement global sous les 2°C d’ici la fin du siècle.
  • Le scénario dit d’émissions modérées prévoit un pic d’émissions autour de 2050, pour ensuite décliner. Il correspond à la trajectoire RCP4.5, qui limiterait le réchauffement global sous les 3°C.
  • Le scénario dit d’émissions non réduites prévoit une croissance continue des émissions de GES jusque la fin du siècle. Il correspond au scénario RCP8.5, qui pousserait le réchauffement global au-delà des 4°C.

À l’origine, un déficit en précipitations : les sécheresses météorologiques

La sécheresse météorologique est celle qui est la plus facile à mesurer, car elle correspond à un déficit prolongé de précipitations.

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Cumuls mensuels des précipitations en Bretagne pour les sécheresses 1976, 1989 et 2022

Les sécheresses estivales de 1976 et 2022 ont été précédées par un déficit pluviométrique hivernal, aggravant par-là les sécheresses des sols et hydrologiques durant l’été. L’hiver 1988-89 a bénéficié de trois mois de pluie « normales », mais l’événement de sécheresse météorologique estival de 1989 est exceptionnel dans le fait qu’il s’est prolongé jusque novembre

Quelle a été l’évolution des précipitations bretonnes depuis 60 ans ?

Avant tout une forte variabilité temporelle, avec une légère tendance à la hausse sur toutes les saisons

Les données de Météo France montrent une légère augmentation des cumuls de précipitations en Bretagne depuis 1959 pour toutes les saisons (ClimatHD). Cependant, cette tendance à la hausse n’est pas significative, et ce pour aucune des saisons, car les variabilités temporelles sont trop importantes (Oracle, 2021).

Plus en détails : des incertitudes fortes qui rendent les tendances non-significatives

Si aucune tendance significative ne peut être tirée à cause d’incertitudes fortes, plusieurs analyses détaillent une différenciation saisonnière et spatiale des précipitations :

  • Des cumuls plus élevés en saisons estivales et hivernales sont relevés dans le rapport Oracle (2021). 
  • L’étude d’Amiot (2023), comparant les périodes 1951-1980 et 1991-2020, observe une tendance à l’augmentation des précipitations (entre +5% et +10% sur la région), et constate également une hétérogénéité spatiale : cette hausse est plus importante dans le sud Morbihan (+25%), et plus généralement dans le sud (plus de 10%).
  • Le rapport du CRPF Bretagne – Pays de la Loire (2019), observe une hausse plus prononcée de la pluviométrie sur les reliefs finistériens par rapport au reste de la région en comparant les périodes 1959-1988 et 1989-2018. Ils associent en partie cette augmentation à un nombre un peu plus élevé de jours de pluies en été.
  • L’analyse d’Amiot (2021) montre, elle, une hausse des précipitations annuelles sur 87 ans de données, sur une seule station (Mur-de-Bretagne, en plein centre du territoire), plutôt liée à une hausse du nombre de jours de fortes pluies, notamment en été et en automne. Sans pour autant en tirer des conclusions générales.

Y aura-t-il plus ou moins de pluie en Bretagne avec le changement climatique ? 

La variabilité temporelle persistera dans le futur, les modèles projettent de légères tendances à la hausse des précipitations en hiver, et à la baisse en été.

Les projections prévoient peu d’évolution des cumuls annuels et une persistance de l’importante variabilité temporelle, quel que soit le scénario et l’horizon. Le contraste entre les saisons se renforce : les cumuls hivernaux augmentent dans tous les scénarios ; et les cumuls estivaux diminuent pour les scénarios d’émissions non réduites et modérées (ClimatHD, Drias 2020). Le Haut conseil Breton pour le climat, dans son bulletin 2023, et les travaux de Vincent Dubreuil (2022), évoquent une « touche de méditerranéisation du climat breton ».

Plus en détails : une grande variabilité dans les projections des précipitations

Les modèles climatiques rencontrent globalement des difficultés à fournir des projections convergentes concernant les précipitations, à cause de leurs grandes variabilités spatiale et temporelle. De plus, la France est située dans une zone d’incertitude climatique, une sorte d’entre-deux continental, où il est projeté une augmentation des pluies plus au nord, et une diminution dans le sud.

Pour le territoire français, et en lien avec la forte hausse des températures et donc d’évaporation attendues, les modèles s’accordent tout de même sur le fait que les sécheresses météorologiques estivales devraient être plus longues en fin de siècle : plus cinq jours (+30%) pour le scénario d’émissions modérées et plus dix jours en scénario d’émissions non réduites (Soubeyroux et al. 2020).

L’Est de la Bretagne est logiquement plus sensible aux sécheresses météorologiques estivales, vu sa pluviométrie moitié moins abondante que dans l’Ouest, avec une amplification prévisible du contraste hiver - été. Dans sa cartographie du changement climatique en Bretagne, Amiot (2023) projette, pour les scénarios d’émissions modérées et non réduites, une diminution des précipitations en saison d’étiage (avril à septembre), et une augmentation en période de recharge (octobre à mars), tout particulièrement en Ille-et-Vilaine.
 

Une température élevée qui peut entraîner une sécheresse des sols

L’eau disponible dans un sol va dépendre, à côté des précipitations, de l’évapotranspiration, elle-même influencée par la température de l’air, le vent et l’humidité de l’air. La combinaison d’un déficit pluviométrique et de températures élevées peut engendrer une sécheresse de la couche superficielle des sols, impactant la croissance de la végétation. La nature du sol (notamment sa teneur en matière organique), et sa capacité à retenir l’eau pour qu’elle soit disponible pour les plantes (la réserve utile) vont aussi influencer sa tendance à entrer en sécheresse.

L'évapotranspiration

L’évapotranspiration est le processus par lequel l’eau liquide retourne sous forme gazeuse dans l’atmosphère : cette étape du cycle de l’eau se réalise via l’évaporation de l’eau du sol, des nappes liquides, et la transpiration des plantes.

L’évapotranspiration est logiquement bien plus élevée lors de la période de végétation, lorsque les végétaux sont en croissance, et en été, lorsque les températures sont plus hautes. Une augmentation de l’évapotranspiration correspond donc à une perte de l’eau dans le sol.

L’évapotranspiration est définie de deux manières : l’évapotranspiration réelle (ETR), et potentielle (ETP). Comme leur nom l’indique, l’ETR est mesurée à partir des conditions réelles de retour de l’eau vers l’atmosphère, tandis que l’ETP est calculée depuis des conditions prédéfinies : un couvert végétal bas et homogène, sans carences nutritionnelles ou pathologies, et où l’eau ne manque pas. L’ETR étant difficile à calculer, c’est plus souvent l’ETP qui est utilisée.

Cette ETP est modélisée depuis des données climatiques comme la température, le vent, l’humidité de l’air, le rayonnement, et est exprimée en millimètres.

Plusieurs indicateurs pour estimer la sécheresse des sols

Dans la suite de cet article, deux indicateurs vont être utilisés pour estimer la sécheresse des sols : 

  • L’évapotranspiration potentielle, qui estime la quantité d’eau liquide, venant du sol et des plantes, qui retourne dans l’atmosphère sous forme gazeuse, dans des conditions théoriques homogènes, notamment du point de vue du type de végétation et de la disponibilité de l’eau. Elle est exprimée en millimètres (mm), comme les précipitations. Ce n’est pas un indicateur direct de la sécheresse du sol, mais plutôt un facteur qui influe sur celle-ci : son calcul permet d’avoir une idée du risque de sécheresses des sols (Cliquez ici pour une définition plus complète) 

  • L’indice d’humidité des sols (SWI), représente, sur une profondeur d’environ deux mètres, l’état de la réserve en eau du sol utilisable par les plantes. Le SWI varie entre 0 (sol très sec où les plantes ne peuvent plus tirer d’eau) et 1 (sol saturé). Un sol est considéré comme sec lorsque son SWI est inférieur à 0.4.
     
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Anomalie des températures en Bretagne pour les sécheresses 1976, 1989 et 2022

La sécheresse 2022 est caractérisée par des anomalies de températures sur une longue période (de décembre 2021 à novembre 2022), et surtout des pics de chaleurs extrême, que l’on ne retrouve pas en 1976 ou 1989. 

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Anomalie d'humidité des sols en Bretagne pour les sécheresses 1976, 1989 et 2022

Les sols bretons ont été dans un état exceptionnel de sécheresse prolongée, de l’hiver 1975 à l’été 1976 : c’est durant cet événement historique que les minima estivaux d’humidité des sols ont été atteints. La sécheresse de 1989 a aussi atteint des extrêmes, mais plutôt durant l’hiver et l’automne. La sécheresse des sols a été moins extrême en 2022, mais l’indice d’humidité se situait sous les normales durant presque toute l’année.

Y a-t-il plus de sécheresses des sols en Bretagne depuis 60 ans ?

Aucune tendance ne se dégage concernant l’humidité des sols, mais on constate une augmentation de l’évapotranspiration due à l’augmentation des températures

Si aucune grosse évolution de l’humidité des sols bretons n’a été constatée sur les soixante dernières années (ClimatHD), l’augmentation des températures a eu un effet sur l’évapotranspiration, exprimé ici par l’évapotranspiration potentielle (ETP). L’ETP annuelle a augmenté sur tout le territoire, et de manière très significative en été et au printemps. Cette augmentation de l’ETP est régulière depuis plusieurs années sur tout le territoire (Oracle, 2021). 

Plus en détails : un allongement de la période avec sols secs

Selon Climat HD, la comparaison de l’humidité des sols entre les moyennes 1961-1990 et 1981-2010 ne montre pas d’évolution significative. Météo France constate cependant un allongement de la période avec sol sec, qui commence 10 à 15 jours plus tôt (début juillet au lieu de mi-juillet). Une humidité légèrement plus forte du sol est aussi constatée lors de la période de recharge des nappes phréatiques, en automne et début de l’hiver.

L’analyse d’Oracle (2021) montre une saisonnalité particulièrement marquée sur tout le territoire breton, avec une augmentation d’ETP très significative en été et au printemps (respectivement +57mm et +76mm en 60 ans), et une diminution significative en hiver, avec une variabilité interannuelle très importante pour cette saison. Au niveau annuel, la croissance de l’ETP est deux fois moins élevée dans le Morbihan, ce qui peut s’expliquer par le fait que son ETP était déjà supérieure à celle des autres départements dans les années 90.

Ces constats sur l’ETP montrent qu’une hausse des précipitations ne diminuerait pas forcément le risque de sécheresse des sols, vu l’augmentation projetée des températures.

Les sécheresses des sols vont-elles devenir plus longues, plus fréquentes, plus intenses ?

Pas forcément si les efforts mondiaux pour réduire les émissions sont radicalement accentués dès maintenant. Sinon, on s’attend à une augmentation importante de la sécheresse des sols en Bretagne.

Les précipitations étant très variables en Bretagne, c’est la température qui devient théoriquement le facteur déterminant dans la projection de l’évolution des sécheresses des sols.

Dans un futur où les efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre sont accentués, on peut s’attendre à une stabilisation des températures au-delà de 2050 (scénario avec émissions maîtrisées). Par contre, si les émissions ne baissent pas fortement, la température continuera son augmentation sur tout le territoire, de manière plus prononcée en été (scénarios avec émissions non réduites ou modérées) : le sud-est de la Bretagne subira les plus fortes augmentations, jusqu’à +4.6°C en été en cas d’émissions non réduites (par rapport à la référence 1976-2005).
 

D’après les analyses d’Amiot (2020, 2021, 2023) et de Lamy (2013), le risque de sécheresse des sols estivale est en hausse d’ici la fin du siècle : les sécheresses exceptionnelles par le passé pourraient devenir communes d’ici la moitié du siècle.

L’est de la Bretagne reste la portion du territoire la plus sujette à une augmentation de la durée des sécheresses des sols en été et en automne. Lamy et Dubreuil (2013) identifient plus particulièrement le littoral morbihannais comme sensible à une augmentation de la fréquence et l’intensité de ces sécheresses. Moins les émissions seront réduites et plus les zones touchées par un nombre important de jours avec sols secs s’étendront vers le sud et l’ouest.

La sécheresse hydrologique, moins d’eau dans les rivières et nappes

Un déficit des précipitations et des températures élevées entraînant une forte évapotranspiration peuvent impacter les ressources en eaux de surface et souterraines. L’évaluation de l’état de ces ressources se fait principalement via la mesure des débits des cours d’eau, et du niveau des réservoirs d’eau douce (barrage) et des nappes phréatiques. 

Observe-t-on une diminution de nos ressources en eaux de surface et souterraines depuis 50 ans ?

Aucune tendance significative n’est observée, ni du côté des bas débits, ni du côté du niveau des nappes.

La plateforme Makaho de l’INRAE ne détecte pas d’évolution significative des bas débits des rivières bretonnes pour la période 1968-2020. En France, une baisse des débits est observée uniquement au sud de la ligne Bordeaux-Strasbourg.

Concernant les niveaux des nappes phréatiques, aucune tendance n’est constatée par le BRGM.

Plus en détails : l’exemple du remplissage du barrage de la Chèze

La thèse de Ronan Abhervé (2022) s’est intéressée à l’évolution du niveau du barrage de la Chèze, ainsi que des débits en amont de ce principal réservoir d’eau utilisé par la SPL Eau du bassin rennais, fournisseur d’eau potable de Rennes métropole. Les conclusions tirées de ce cas précis peuvent servir de mise en garde générale pour toute la Bretagne.

Entre 2003 et 2020, une baisse des volumes du barrage a été constatée, avec une « difficulté à se remplir naturellement » (c’est-à-dire sans intervention des gestionnaires). Une modification dans la dynamique de remplissage est aussi observée : il se remplit moins, et plus tard dans l’année. En 2020, par exemple, le barrage n’a commencé à se remplir qu’en janvier.
 

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Evolution du remplissage du barrage de la Chèze (35) entre 2003 et 2021


 


 

Va-t-on vers un futur avec plus de sécheresses hydrologiques ?

On s’orienterait vers une tendance à la baisse généralisée des débits d’étiage, mais les projections du couplage entre modèles hydrologiques et climatiques doivent encore être affinées, notamment au niveau local

Au niveau des débits d’étiage, le modèle hydrologique (SIM2 sur DRIAS) observe une tendance à la baisse, avec des débits minimums annuels pouvant diminuer de 80%, selon les modèles climatiques les plus pessimistes. A noter que cette projection n’est issue que d’un seul modèle hydrologique, et que des résultats issus d’un ensemble de modèles hydrologiques sont attendus dans le cadre du projet Explore2 "Les futurs de l'eau" (qui produira des projections hydroclimatiques en 2024)

Les tendances pour les niveaux des nappes sont également attendues avec le développement du projet Explore2.

Plus en détails : l’exemple des débits en amont du barrage de la Chèze

Des analyses réalisées dans la thèse de Ronan Abhervé (2022) montrent que la probabilité d’observer des débits minimums similaires à ceux observés en 1976 (débit de moins de 0.01mm/jour durant au moins 60 jours) en amont du barrage de la Chèze, sur une période de 30 ans, va plus que doubler d’ici 20 à 50 ans, dans les scénarios d’émissions maîtrisées et non réduites.

Au-delà de 2070, le nombre probable d’années de type 1976 va légèrement diminuer en scénario d’émissions maîtrisées, et pourra monter jusqu’à 30 années consécutives pour le scénario d’émissions non réduites.

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Probabilité d'observer des débits similaires à ceux de 1976 dans le futur, pour le barrage de la Chèze


 

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Pierre d'Arrentières
Chef de projet Adaptation climat
Pôle Énergie-Déchets-Biomasse-Climat
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Adeline Louvigny
Rédactrice scientifique
Pôle communication
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